Le géant des mers et autres contes
Yak Rivais
jean Picollec - 1991
89 FF - 195 p.
Illustration de l'auteur
Extrait des pages 170 et 171 :
... Ils s'assirent sur le parapet de pierre de la plage, et s'amusèrent à cracher dans l'eau de mer à plus de vingt-cinq mètres. Il y en eut même un qui y fit pipi, et à cette distance, c'était une prouesse essayez !
A part ça, il ne se passait rien. Les mouettes volaient comme des andouilles dans le ciel de plus en plus clair, et la mer bleuissait. Bientôt, le soleil gratta les toitures des villas. Le carillon de la mairie sonna six coups puisqu'il était presque sept heures, car l'horloge battait la breloque. Alors le diablotin jaune se leva, s'étira et cracha en l'air sur un cormoran, qui piqua en mer comme un avion de chasse abattu.
Attention ! se dirent les diablotins. Les humains ne vont plus tarder à venir faire bronzette sur la plage. Justement, le père Markale ouvrait le Bar des Marins à une centaine de mètres. Il ne manqua pas de repérer la bande d'ostrogoths et le trait de peinture blanche, qui barrait la rue et la plage.
- Humph! grogna-t-il. Ces zozos ne sont pas de chez nous. Qu'est-ce qu'ils mijotent ?
Il entra ranger ses volets de bois dans l'arrière-boutique, et ressortit reluquer les olibrius. Ils avaient des allures bizarres, en manteaux à la mi-août, et y regarder de plus près, les queues fourchues qui pendaient par-dessous, incitaient à la réflexion.
- Humph! s'écria le père Markale en se grattant l'occiput sous sa casquette de matelot. Voilà une collection de sagouins qui ne me dit rien qui vaille !
Ils paraissaient attendre. Mais quoi. Le père Markale courut décrocher le téléphone et il appela le maire :
- Allo! Monsieur Bolloré ! II y a une vingtaine de diables rue de la Plage !
Le maire ne le prit pas au sérieux.
- Bien, dit-il. Faites-les tricoter.
- Hein fit le père Markale.
- Oui! dit le maire en éclatant de rire. Une maille à l'endroit, une maille à l'enfer ! Ha ha ha !
Et il raccrocha le téléphone. Le père Markale revint se poster derrière la vitrine de son bar. Le diable jaune était debout sur le parapet de pierre, et montrait du doigt un humain qui venait dans la rue en chantant La Paimpolaise. C'était Le Braz, le facteur, qui commençait sa tournée. Il marchait d'un bon pas, et jetait les lettres dans les boites. Tous les autres diables se levèrent. Qu'espéraient-ils ?
Le pied droit du facteur dépassa la ligne de peinture. Son genou dépassa la ligne. Son corps la franchit tout entier. Et le facteur Le Braz changea de sexe ! Incroyable ! Il était devenu une factrice qui chantait d'une voix de soprano: " Je vais revoir mon Paimpolais " au lieu de : " Je vais revoir ma Paimpolaise. " Tous les diables éclatèrent de rire. Le facteur-trice ne s'était rendu compte de rien, et poursuivait sa mission pet tes- que, ragaillardi par la perspective d'un petit verre de rhum au Bar des Marins. Il avait perdu ses moustaches, et gagné des cheveux longs et une belle poitrine. Le père Markale vit ce personnage inconnu s'introduire dans son bar, en brandissant une carte postale :
- Bien le bonjour père Markale! Voilà z'une carte postale de votre copain Picollec ! Je ne l'ai pas lue, mais il dit qu'il viendra vous voir le dix-huit, si sa voiture est réparée....