Vte de Villiers du Terrage
L'Archipel des GLÉNANS
en basse-Bretagne
L’archipel des Glénans s’aperçoit facilement à 15 kilomètres
au sud de Concarneau. I1 est composé d’un groupe de petites îles, d’îlots et de
roches isolées qui se découvrent en très grand nombre au moment des basses mers
d’équinoxe (2m 65 au-dessous du niveau moyen de la mer). Les
récifs,
qui de tous côtés entourent cet archipel, en rendent les abords très dangereux..
Si, par suite d’un raz de marée ou de tout autre cataclysme,
la mer descendait brusquement de 5 mètres au-dessous du niveau des plus fortes
marées, les vagues en se retirant laisseraient voir, à la place du plateau
sous-marin des Glénans, une île, figurée en pointillé sur la carte ci-jointe, qui
aurait à, peu près les mêmes dimensions que Groix.
D’après une tradition rapportée par Elisée Reclus, ce
plateau serait le reste d’une île détruite par la mer à une époque dont les
hommes auraient gardé le souvenir. On peut en effet admettre, soit un
affaissement lent et progressif du sol, soit, sous l’action des vagues, une désagrégation
des roches, semblable à celle que nous voyons encore se passer de nos jours. I1
y a d’ailleurs analogie complète entre les roches granitiques des Glénans et
celles de la côte entre Concarneau et Trévignon.
Une ancienne tradition mentionne l’existence d’un passage à
pied sec entre l’île aux Moutons et le continent ; pourtant sur cette
direction, la profondeur de la mer est actuellement de plus de 17 mètres.
Les auteurs qui se sont occupés des Glénans font varier,
suivant leurs impressions, le nombre des îles de 5 à 20. Les principales ont
pour nom, Saint-Nicolas relié à basse mer à Bananec, Drénec, Quignenec, le Loc’h.
Guyotec et Penfret. Les cinq premières forment une rade, où les petits
bâtiments trouvent un abri contre le mauvais temps, et qui a été baptisé de
tous temps la Chambre. Un îlot, l’île Cigogne, qui en
occupe le centre, a été fortifié au XVIIe siècle, pour surveiller le mouillage.
Saint-Nicolas, Drénec, le Loc’h et Penfret sont habitées.
Dix-sept autres îlots ou rochers peuvent encore être
mentionnés: les Pierres Noires, le Huic, le Gluet, Brunec, les Bluiniers, le
plateau de Pladen, Castel Bras et Castel Bihan, Tallenduic, Karek-bras, Deuzerat,
Brilimec, la Bombe, le Vieux Glénan, Ruolh, Menskey et Castel Bargain.
A 5 kilomètres au sud de l’ile du Loc’h émerge encore une
pointe de rocher, la Jument du Loch, tristement célèbre dans l’histoire des
naufrages.
Au nord nord-est des Glénans, à 5 kilomètres et demi de
Saint-Nicolas et entourée de rochers, se trouve la petite île aux Moutons signalée
par un phare que l’on voit à 16 kilomètres au sud-ouest de Concarneau.
Pendant longtemps, les Glénans n’ont été habités que d’une
manière intermittente, mais d’après les vestiges qui subsistent, il est certain
qu’elles ont été peuplées dès les temps préhistoriques. Le beau menhir de l’île
aux Moutons, les dolmens en ruines .de Saint-Nicolas, les sépultures du Drénec,
les coffres de l’île du Loc’h en sont la preuve.
Une découverte de deux amphores, remontant à l’époque gallo-romaine,
a été faite, il y a deux ans, à Saint-Nicolas : l’une a été
malheureusement brisée, l’autre est en ma possession. Des fragments d’amphore
ont
été également trouvés clans l’île aux Moutons, lors de la construction
du
phare.
Quand les Romains évacuèrent la Bretagne, puis quand les
Normands commencèrent leurs incursions, la population des Glénans disparut probablement,
et on en est réduit aux conjectures sur les événements qui purent s’y passer;
car, durant plusieurs siècles, l’archipel des Glénans n’a été le théâtre d’aucun
événement dont il soit fait mention dans les auteurs qui se sont occupés de l’histoire
de la Bretagne. Ces îles cependant pouvaient servir de poste avancé à la
forteresse de Concarneau, qui, il ne faut pas l’oublier, était encore au XVIe siècle, réputée
avec Brest, Saint-Malo et Nantes, une des quatre grandes places
fortes de Bretagne.
La carte la plus ancienne sur laquelle j’ai trouvé mention des
Glénans figure dans l’Atlas de Pierre Vesconte
qui remonte à l’année 1318. L’échelle en est très petite, on y voit cependant
au sud-ouest de la péninsule armoricaine, le port Concha
et, au large, les îles Grana. Ces îles sont indiquées
également sur la plupart des cartes postérieures, souvent avec la désignation :
« entre Groïa et Penmark ». Il existe à la Bibliothèque Nationale,
une grande carte sur parchemin de toute la Bretagne qui paraît remonter au
commencement du XVIIe
siècle. Elle semble fort exacte pour l’époque, cependant, par une erreur singulière,
l’île de Groa est mise à la place de Glenan, vis-à-vis de Concarneau, et Glenan
occupe la position de Groa.
Les Glénans appartenaient aux moines de Saint-Gildas, près
Sarzeau, comme leur ayant été donnés, disaient-ils, par Grallon, Comte de Cornouaille,
auquel ils attribuaient la fondation de leur abbaye. Mais cette prétention
était mal fondée, car saint Gildas ne passa de la Grande-Bretagne en Armorique
que vers 580, un siècle après la mort du Comte Grallon. La possession de ces îles
leur était, il est vrai, reconnue par des chartes du XIe siècle, d’ailleurs peu
authentiques, qui furent cependant confirmées en 1502, par la Duchesse Anne.
Il est certain que les îles de la côte sud de Bretagne ont
été occupées et christianisées par des moines venant presque tous de la Grande-Bretagne.
Ainsi, la grande île de Belle-Isle (Enez veur) appartenait encore en 1590 à l’abbaye
de Quimperlé. L’abbaye de Rhuys, fondée par saint Gildas, était en 1789
propriétaire des îles de Houat et de Hœdic situées à 15 kilomètres au large de
la côte du Morbihan. Sur la côte du Finistère, on peut supposer qu’un pareil
apostolat a été exercé par saint Tudy, dont la vie est peu connue, mais qui est
honoré à Loctudy, à File Tudy, et dans l’île de Groix.
Les Glénans étaient alors rattachés à Loctudy, mais aucun
renseignement n’est parvenu jusqu’à nous sur les événements qui ont du survenir
pendant plusieurs siècles. On sait seulement qu’en 818, tous les anciens
monastères bretons durent, sur une injonction de Louis-le-Débonnaire, adopter
la règle de saint Benoit.
Le Cartulaire de Quimper publié par M. le chanoine Peyron
nous apprend qu’en 1220, l’abbé de Saint-Gildas, Hervé, fut envoyé par ses religieux
à Quimper pour soutenir, devant l’évêque Renaud, leurs droits sur l’église de
Loctudy. Le 20 avril, il fut convenu par transaction, que, sur trois prébendes
attachées à cette église, deux appartiendraient à l’évêque et la troisième à l’abbé.
Mais quatre ans plus tard, en 1224, cette prébende leur fut enlevée par un
traité, sorte de concordat intervenu entre l’Evêque de Quimper et Hervé du Pont
(Pont-l’abbé). Dans ce traité, qui reçut l’approbation de l’Archevêque de
Tours, l’Evêque et le Seigneur du Pont se désistaient de toutes réclamations
sur leurs griefs respectifs. L’abbé de Saint-Gildas dut également renoncer à
faire valoir les siennes, et il lui fut signifié par l’Evêque, que l’abbé et le
couvent n’auraient plus aucun droit sur l’église de Loctudy et ses dépendances,
qu’ils possédaient jusqu’au moment présent. Il était encore stipulé que, s’ils
n’acceptaient pas la compensation qui leur était offerte, cette compensation,
dont la valeur n’est pas indiquée, serait, pendant la durée du procès, accordée
au clerc qui défendrait la cause de l’Evêque.
Les Glénans, qui dépendaient alors de Loctudy, furent,
volontairement ou non, laissés en dehors de la décision épiscopale et
continuèrent d’appartenir à l’abbaye de Rhuys.
La création d’un troisième prieuré sur ces îles, n’est pas certaine,
cependant il est probable qu’il a existé, sous le vocable de Saint-Nicolas, nom
qui est encore porté par une des îles principales de l’archipel. Ce nom,
étranger à l’ancienne hagiographie bretonne, nous reporte au XIIIe
siècle, époque à laquelle régnait une grande dévotion pour ce saint. La preuve
s’en trouve dans le cartulaire de Quimper cité précédemment, où sont énumérées,
à la date du 25 novembre 1228, les fondations faites, au profit des chanoines,
curés (vicaires), diacres et sous-diacres de son chapitre, par l’évêque Renaud,
au moment d’entreprendre le pèlerinage, alors très célèbre, de Saint-Nicolas de
Bari, en Apulie.
En tous cas, à la fin du XVe siècle il ne restait plus
aux Glénans de moines, ni même de constructions habitables. Un Aveu rendu au
Roy par l’abbé de Saint-Gildas, le constate dans les termes suivants :
A tous ceux qui ces présentes verront, Antoine du Prat, Garde
de la Prévoté de Paris, Salut :
Savoir faisons que par devant les notaires du Roy a comparu R.
P. en Dieu, Mre Jean-Baptiste de Gadaigne, abbé commandataire de l’abbaye
de Saint-Gildas de Rhuys, en l’évêché de Vannes, lequel de son bon gré a advoué
tenir du Roy notre souverain seigneur les choses ci-après :
.
En l’évêché de Cornouaille,
Déclare led. Sgr estre seigneur en fonds et propriété du tout
des Ysles appelées de Glénan qui sont en nombre sept tant grandes que petites
assises en la mer, avec leur appartenances et dépendances qui ont esté données
à lad. abbaye par lad. antienne fondation et qui consistent en pasturages et
sont inhabitées et sans aucun logis ny bastimens.
En cette ville de Paris, le XXIII Avril 1584.
S. CHANTEMERLE et LE CAMUS.
Il existe également aux Archives de la Loire-Inférieure deux
aveux analogues rendus au Roy, l’un par l’abbé Michel Ferrand, en 1655, l’autre
par l’abbé Emmanuel de Roquette, le27 août 1785.
Dans l’intervalle, en 1633, l’abbé Henri de Bruc avait afféagé,
(loué) les îles des Glénans, qui ne lui rapportaient rien, au Sr Desbrosses,
moyennant une rente annuelle de 40 livres tournois. Mais le contrat fut bientôt
résilié, et il arriva que ces îles, ne fournissant plus aucun revenu, furent
oubliées dans une énumération générale des biens de l’abbaye dressée en 1637.
Houat et Hœdic y figurent, mais la jouissance en paraissait
assez précaire pour qu’il fût prévu au bail que le prix de la location sera
réduit si le preneur en est privé. Cette clause prévoit les actes de pillage
commis par les corsaires ennemis.
En 1651, après la réunion de l’abbaye à la Congrégation de
Saint-Maur, il y eut une nouvelle tentative d’afféagement, décidée dès 1649 par
l’abbé Michel Ferrand, en raison de l’état de délabrement des bâtiments.
Les Glénans trouvèrent pourtant un acquéreur en 1660:
Nicolas Fouquet, le célèbre surintendant des Finances de Louis XIV, gouverneur
de Belle-Isle, et de plusieurs places fortes de Bretagne eut la fantaisie de
joindre à son domaine princier les îles de Houat, Hœdic et Glénans. Elles ne
rapportaient guère en tout que 1500 livres, car à chaque déclaration de guerre
elles étaient dévastées par l’ennemi. Cependant Fouquet offrit en échange la
seigneurie de Coatcanton, en Melgven, comprenant : manoir, bois, domaines,
moulins, avec droit de justice haute, basse et moyenne, et en outre la
jouissance de droits honorifiques dans plusieurs églises et chapelles des
environs de Rosporden. Les revenus annuels de cette terre s’élevaient à 3500
livres ; aussi les religieux acceptèrent-ils avec empressement cet échange
très avantageux, qui fut approuvé par le supérieur général de la Congrégation.
Toutefois il n’y put être donné suite, car, sur les entrefaites, Fouquet, perdu
par son ambition démesurée, fut arrêté en 1661 et condamné â la prison
perpétuelle. Le contrat passé avec les religieux fut annulé par un arrêt de
février 1665, et la seigneurie de Coatcanton vendue à un parent du
surintendant, Messire Christophe Fouquet, comte de Chalain, et à dame Marie du Boisguéhenneuc,
son épouse.
Les Glénans restèrent ainsi la propriété de l’abbaye de
Saint-Gildas.
En 1678, l’abbé Bertot demanda qu’il fut fait un partage en
trois parts du revenir des biens de l’abbaye sur les bases suivantes; une part
devait être pour lui, la seconde pour les religieux, la troisième, qui
comprenait Houat, Hœdic et les Glénans, serait ajoutée à la première, afin de
pourvoir aux charges de la maison.
En 1685, l’abbé Emmanuel de Roquette accepta ces bases (le
partage, mais demanda en même temps à se décharger de l’administration des 1er
et 3e lots, à condition de recevoir une rente de 4000 livres,
payable par moitié à Noël et à la Saint-Jean. Par contre, il s’engageait à,
supporter la moitié des pertes, en cas de descente des ennemis, Anglais,
Espagnols, ou autres.
Au commencement du XVIIIe siècle, les Glénans se
trouvaient encore inhabités d’après le témoignage du commandant Robelin. Dans
le rapport de la visite qu’il fit en 1717, il s’exprime dans les termes
suivants :
Sur l’île Saint-Nicolas, il y avait autrefois un hermite dont
il reste encore une petite maison couverte en paille avec « un four, un jardin
clos d’un bon mur, et un puits d’eau douce qui est très bonne. Depuis la paix
plusieurs particuliers de Concarneau y ont fait bâtir une grande presse pour y
préparer les sardines, qui est un enclos de mur bâti en carré de 120 pieds de côté,
fermé d’une grande porte, dans le dedans duquel sont adossés des appentis
couverts de tuiles creuses. II y en a déjà la moitié de fait avec une « petite
chapelle pouvant contenir 20 personnes, et des matériaux sur les lieux pour
achever le reste.
Le Royer de la Sauvagère, qui refit en 1744 le plan des Glénans,
nous apprend
que dès 1713 l’abbé de Saint-Gildas avait, moyennant le
paiement d’une somme de 100 livres par an, afféagé ces ales au Sr Lheurter
ou Lhérétère à qui s’étaient joints Yves Gouic, Kiven, Chapeaux et Villette qui
avaient formé une compagnie à laquelle on assurait que le Roy Louis XIV avait
accordé le privilège de franchise et un droit de percevoir 5 sols par tonneau
de chaque barque qui y relâcherait, aux conditions d’y construire un fort à
leurs dépens, mais cette compagnie se rompit par l’accident du feu qui consuma
les presses vers 1735. Il n’y eut que le Sr Lhérétère qui s’y maintint.
Il avait un jardin très bien cultivé et il ne l’abandonna que par la crainte
des corsaires anglais qui y prennent poste dès le moment de chaque déclaration
de guerre.
La dernière avait eu lieu en 1733.
En 1754, les Glénans devaient être de nouveau inhabités, car
Le Royer de la Sauvagère, qui s’occupait alors d’un projet de fortification,
proposait au Roy de rembourser aux Bénédictins, moyennant 2000 livres, la valeur
en principal de ces îles, et il estimait qu’il serait possible de tirer profit
de leurs produits pour les besoins de la garnison qu’il faudrait y installer.
Le Roy prescrivit alors une enquête pour établir quel était le véritable
propriétaire de l’archipel : l’abbaye établit ses droits et l’affaire n’eut
pas de suite.
II parait bien extraordinaire que ces précédents n’aient pas
été connus des commissaires des Domaines de Bretagne, qui, au détriment des légitimes
propriétaires, afféagèrent en 1768 les îles des Glénans au Sr Landais
de Clemeur, moyennant une rente de 300 livres, payable à la recette du Domaine
de Concarneau.
Les religieux ne pouvaient tolérer cette usurpation,
toutefois, pour des raisons restées inconnues, ce fut seulement le 21 novembre
1774 qu’ils assignèrent Landais, devant le siège royal de Quimper, pour se voir
condamner à abandonner la possession des Glénans.
Landais transmit le 24 décembre suivant cette assignation au
Sr Briant de Boisnielin, receveur des Domaines de Concarneau, en l’appelant
en garantie. Ce dernier en référa au Directeur général du Domaine de Bretagne
qui proposa un déclinatoire devant le siège royal de Quimper et demanda le
renvoi de l’affaire au siège royal de Concarneau de qui relevait la paroisse de
Fouesnant dont les Glénans font partie. La question paraissait urgente, car le
Procureur des Bénédictins à Quimper « homme fort actif », dit-il,
protestait contre ce déclinatoire et pressait vivement ses adversaires de
répliquer.
Je n’ai pas trouvé trace de la sentence qui a dû être
rendue, à moins que le Directeur des Domaines ne se soit désisté, ce qui est possible :
en tous cas les droits de l’abbaye à la propriété des Glénans furent une fois
de plus reconnus.
En 1791, les biens de l’Abbaye durent être vendus en raison
des lois votées par l’Assemblée Nationale. Les archives du .Morbihan
contiennent, entre autres, les actes de vente des îles de Houat et de Hœdic,
mais aux archives du Finistère, il n’existe aucune mention d’une vente
régulière des Glénans. On trouve seulement, à la date du 19 février 1791, l’acte
de vente aux enchères d’une rente de 150 1ivres, due sur ces îles par le Sr
Kernilis. La mise à prix avait été de 1153 livres et le Sieur Alain de Kernafflen
de Kergos en fut déclaré adjudicataire moyennant une somme de 1500 livres.
Trois ans plus tard, Cambry, dans le récit de ses voyages
dans le Finistère, nous apprend que les Glénans appartenaient au Sr K.... (Kergos
d’après le commentateur). J’ignore par quelles suites de circonstances, cette
propriété d’une rente de 150 livres sur le fonds s’est transformée en propriété
du fonds lui-même.
L’archipel était encore la propriété de la même famille
quand le cadastre fut établi ; il en sortit en 1837 seulement, et devint
en 1870, la propriété d’une famille de Pont-l’Abbé qui possède actuellement à
peu près 150 hectares sur une surface totale cadastrée de 154 hectares environ.
Le surplus appartient à l’Etat pour ses établissements militaires et ses phares,
et pour un hectare, situé dans l’île du Drénec, à un propriétaire de Quimper.
Nous avons à plusieurs reprises parlé des pirates dont les
incursions empêchèrent si longtemps tout établissement durable aux Glénans.
Au huitième siècle, les Normands, après avoir saccagé les
côtes de Bretagne, remontèrent les rivières, attaquèrent et prirent même
quelquefois de grandes villes ; la Bretagne fut alors entièrement dévastée.
Quand ces envahisseurs se furent installés sur les pays
conquis, la piraterie n’en continua pas moins. On voit cependant les ducs de
Bretagne, à partir de Pierre Mauclerc, faire de sérieux efforts pour éloigner
ces forbans qui arrivaient montés sur de véritables flottilles, et Jean IV, au XVe siècle,
songea même à leur opposer une importante flotte pour protéger le commerce.
Au XVIe
siècle, les pirates barbaresques vinrent chercher ,jusque dans l’Atlantique des
rivages moins dévastés et moins bien gardés que ceux de la Méditerranée. En
1625, un pirate marocain descendit dans la Cornouaille anglaise et put
reprendre la mer emmenant 200 prisonniers et un énorme butin. Cent ans plus
tard, les croisières de ces forbans étaient encore signalées au cap Finistère
et à Ouessant.
D’autre part, les guerres maritimes entre les nations
Européennes donnèrent lieu à l’armement par des particuliers de navires qui,
sous le nom de corsaires, pouvaient impunément ravager les côtes de l’ennemi, s’emparer
de ses navires, ou les détruire. Ils faisaient souvent un butin considérable,
car ils se montraient peu scrupuleux de s’enrichir aux dépens d’alliés, ou même
de compatriotes.
Il existait bien quelques navires garde-côtes, mais ils n’étaient
pas assez nombreux, leur action se montrait peu efficace, et ils arrivaient
presque toujours trop tard. Voici, à ce sujet, une lettre curieuse adressée par
Guy Autret
à son ami et correspondant Ch. d’Hozier, le célèbre généalogiste. Elle montre
ce que pouvait faire, à l’occasion, l’initiative d’un simple gentilhomme.
Cette lettre a été publiée par M. de Rosmorduc avec d’autres
lettres de Guy Autret, dans un ouvrage tiré à un très petit nombre d’exemplaires,
et qui n’a pas été mis dans le commerce. Je crois donc intéressant de la reproduire.
A Lésergué, ce 22 Avril 1648.
Monsieur
et cher Confrère,
Je vous diray pour nouvelles plue neuf. ou dix .vesseaux
pirates espagnols et biscaïens infestent nos costes maritimes depuis 4 à 5
mois, ont prins de nos bouques marchandes et déprédé plus de 50 navires, sans
que les vesseaux garde-costes entretenus du Roy y aye doné auceun ordres. Ses
pirates en nombre de 9 auaient leur retraite en vne isle nomée Glelan située à
3 lieues de la terre ferme deuant les ambouchures de Conquerneau et de Benodet
et la coste de Cornouaille. Messire René Barbier, marquis de Kerian que vous cognoessès
à mon aduis, estant en diuorse depuis six ans aveq la dame de Mesarnou sa fame,
s’est aduisé depuit deux ans pour faire passer sa mélancolie, de faire bastir
un grand vesseau, qu’il a bien armé aveq une patache, aveq lesquels il tient souvent
la mer et done la chasse aux pirates et ayant eu aduis de ces 9 pirates, il
partit de la coste de Léon la semaine de Pasques, double les pointes du Conquet
et du Ras, done aveq hardiesse sur ses pirates qu’il trouue à l’ancre du haut
de ceste isle, coule trois de leurs vesseaux à fond, en prend trois autres et done
la chasse au reste, de forme qu’aveq un vesseau, à la vérité plus grand et
mieux armé que ceux de l’ennemi, il a gaigné une petite bataille ; les marchans
de tous nos haures ont député vers lui, l’ont envoyé remercier, et lui ont fait
rendre des viures et des vins en abondance.
L’on m’a dit que ceste victoere a telement grossi le courage de
ce marquis, qu’il parle desia d’ataquer la flote des Indes, néamoins raillerie
à part. Cest essait mérite louanges et quatre lignes de gazetes.
Je suis et seray toute ma vie, mon cher confrère, votre très
humble et obéissant serbiteur.
MISSIRIEN
Il ne semble pas qu’au XVIIe siècle, il ait été pris
de mesures efficaces pour écarter les pirates.
En 1675, la flotte de l’Amiral Hollandais, Ruyter, croisait
sur les côtes de Bretagne ; sa présence au large se trouve confirmée par
ce fait qu’un de ses navires put recueillir quelques-uns des chefs de la
révolte du papier timbré, qui échappèrent ainsi au supplice qui les menaçait,
car, plus coupables que les paysans qu’ils avaient soulevés, ils devaient
craindre de ne pas être amnistiés.
A partir du XVIIe siècle, on trouve dans les documents de cette époque et dans les registres de l’Amirauté,
des mentions nombreuses de naufrages et accidents de mer survenus aux Glénans.
Il serait long et fastidieux de les énumérer et décrire. J’en citerai deux seulement
en raison du contraste entre la conduite des habitants dans ces deux cas vis-à
vis du naufragé.
En 1732, un navire hollandais d’environ cent tonneaux,
toucha sur les rochers au sud des Glénans; deux hommes furent noyés, le capitaine
et deux matelots purent en nageant atteindre les îles, ils étaient à bout de
forces et entièrement nus. Le navire vint plus tard à la côte et les pêcheurs s’emparèrent
de tout ce qu’ils purent enlever, vêtements ou provisions, et il fallut l’intervention
de la femme du fermier des Glénans pour obtenir qu’il fût laissé aux naufragés
un simple suroit. L’Amirauté prévenue fit faire une enquête, mais celle-ci fut
particulièrement laborieuse, elle dura plusieurs mois et forme un dossier très
volumineux. Tous les individus convaincus d’avoir recueilli une partie des
épaves durent en rembourser la valeur au Domaine royal, qui, je crois même,
réclama le prix des vêtements abandonnés aux naufragés.
Dans une autre circonstance, il s’agissait d’un navire à
destination de Greenock (Ecosse), naufragé dans les parages des Glénans. Le capitaine
du nom d’Hamilton qui s’était sauvé à la nage, déclara dans l’enquête avoir été
parfaitement traité par les pêcheurs qui l’avaient recueilli en pleine mer,
transporté chez eux, réchauffé et habillé, pendant que l’on faisait sécher ses
habits.
La question de l’espionnage fut également une cause de
préoccupations pour les habitants du littoral. J’ai trouvé aux archives de la
Guerre (section historique), les deux lettres suivantes.
Voici la première, adressée sans doute au Maréchal de Château-Renaud,
récemment nommé gouverneur de Bretagne.
A Moro, près Concarneau, le 2 May 1704.
Monsieur,
le Sieur Villien,
Permetté moy s’il vous plait de vou donner un advis de très grandes
consequences qui est qu’une ville appelée Concarneaux, fort recommandable, tant
par sa force que par sa situation, dont M. de Vauban en scait la valeur, est
menacée par les ennemis et par rapport à ce que j’ay l’honneur de vous mander,
il y a quelques jours un batiment relacha dans le bassin de lad : place soubz
prétexte de se reposer, y resta trois jours. C’estoit un espion qui venait reconnaître
la forteresse, il s’en retourna et mesme j’ai appris qu’un matelot, qui scait connoistre
l’endroit pour entrer, est party pour aller joindre led : espion soubz
prétexte d’alter avec les autres matelots qui sont à Brest. II y a plusieurs
coursiers (corsaires) dans cette mere. Il est vrai que la flote qui alait à
Brest fut ataquée jeudy 4e d’apvril aux isles des Glenans qui sont à
4 lieux en veû de lad : place, ou nos gens se défendirent vigoureusement
et prirent un flessingois. Il y a six mois que M. le gouverneur est absent et que
le cannon n’est point en estat. La place estant presque dégarnie, si les
ennemis s’en rendaient les maistres, toutte la Brettagne serait perdue. Si vous
jugez à propos j’auray l’avantage de vous donner advis de tout ce que je
pourrai descouvrir.
J’attendrai l’honneur de vos commandemens en vous priant d’être
persuadé que je suis avec un profond respect.
Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.
S. VILLIEN.
A la suite de cette plainte, le Maréchal de Château-Renaud annonça
l’intention de visiter la côte entre Benodet et Concarneau.
La seconde lettre datée de 1709 ne porte pas le nom du
destinataire. Elle est écrite par M. de Penanjeun (de Kerguélen).
Vous devez en donner avis à
M. le Mail de Chateaurenaud
Monseigneur
L’honneur que j’ai eu de servir vingt années sa Majesté, d’en
avoir des pensions, la croix de Saint-Louis, celui que j’ai d’être commandant
de la noblesse de l’évêché, le sermant de fidélité que j’ai pretté entre les
mains du Roy et des vostres, Monseigneur, m’oblige à vous doner avis que le
port de Benodet est très mal gardé, qu’il vient tous les jours des battaux pecheurs
se rendant à Quimper qui y acheptent des blets, du pain et des provisions qu’ils
vendent aux grenesiens (Guernesiais) et cela de nuit et de jour. Il parait,
Monseigneur, qu’il seroit à propos de faire aborder au fort tous les bataux
entrant et sortant. Comme se sont quatre ou cinq péïsants des paroisses
voisines mal disciplinés qui montent à leur tour cette garde, si sa Majesté le
juge à propos, j’aurez le soin d’en faire la visite toutes les semaines et de
remédier à ce désordre, sans en atteindre aucune rétribution que l’honneur de
vous en rendre compte, et de marquer par là à votre Grandeur le zèlle que je
conserverai toujours pour les intérêts du Roy. J’ay l’honneur d’être avec un
très grand respect,
Monseigneur,
Votre très humble et très. obéissant serviteur,
DE PENANJEUN,
Lt grand bailly de Quimper.
Quimper, ce 12e May 1709.
J’ai déjà dit qu’après le traité d’Utrecht, en 1713, les
moines de Saint-Gildas escomptant un long avenir de paix avaient cherché de nouveau
à tirer parti des Glénans. Malheureusement, les corsaires avaient reconnu que
cet archipel contenait de bons havres, où leurs barques pouvaient se mettre à
couvert par tous les vents, et y séjournaient sans être vus de la côte, ni du
large. Ils connaissaient les passes et les écueils aussi bien que les pêcheurs
français, et avaient fait à plusieurs reprises des établissements où ils s’installaient
à demeure. De là, ils surveillaient les côtes depuis Groix jusqu’à Penmarc’h.
Ils se tenaient cachés et fondaient à l’improviste sur toutes les barques qui
sortaient du port de Concarneau, ou des rivières de Quimper et de Quimperlé,
ils pillaient également celles qui faisaient entre Nantes, le Port-Louis et
Brest, un cabotage d’une grande importance pour alimenter ce dernier port en
temps de guerre. Ces corsaires causèrent ainsi un « tort immense au commerce et
à la pêche, et enlevèrent un grand nombre de matelots à la marine du Roy.
Vauban, qui avait fait à la fin du XVIIe siècle l’inspection des
côtes de Bretagne, s’arrêta à Concarneau en 1694 et y fit établir des
batteries, mais il ne parait pas s’être occupé de fortifier les Glénans.
C’est seulement au XVIIIe siècle que les
autorités maritimes se préoccupèrent de mettre fin aux incursions des pirates,
ainsi que le montre une note datée du 20 juin 1717, non signée, mais émanant
certainement du commandant Robelin, ingénieur au Port-Louis, cité précédemment,
qui venait de faire une étude sérieuse de tout l’archipel et proposait l’établissement
d’un fort dans la petite île Cigogne. Le Maréchal de Montesquiou, à qui cette
note était adressée, l’envoya au Ministre avec l’annotation suivante :
Vu et examiné le présent mémoire. Je crois que cela mérite attention.
Quand on ne ferait qu’un petit fort à y tenir un corps de garde de dix à douze
hommes, il empêcherait dans les temps de guerre que des corsaires viennent se
mettre à l’abri, puisque ce corps de garde par des signaux avertirait la côte
qu’il y a des corsaires cachés. C’est a S. A. S. et au Conseil de la Marine d’en
faire leur réflexion.
Quimper, 20 Juin 1717.
La réponse ne se fit pas attendre, et, à la suite d’une délibération
du Conseil en date du 4 juillet, des instructions furent données à Robelin. Le
plan de l’archipel qu’il s’occupa immédiatement de lever est assez exact pour
chaque île en particulier, mais très fautif, quant à leurs positions
respectives. Bobelin y joignit le 29 octobre 1717 une note destinée aux navires
voulant mouiller dans l’archipel.
Aucune suite ne fut donnée à cette étude, pendant prés de
vingt ans. En 1744 seulement, on trouve un projet de La Ferrière de Vincelles,
officier, prisonnier sur parole, qui se déclare prêt à s’installer aux Glénans
pour les défendre contre les corsaires Jersiais et Grénésiais. Il demande
seulement six petites pièces de canon, et une bonne chaloupe armée de quatre
pierriers, et s’engagerait par ailleurs à ne pas quitter les îles pendant toute
la durée de la guerre.
Le 6 septembre 1715, M. de Marolles présenta un nouveau projet
assez bien étudié, où il démontrait l’inutilité d’une seule batterie contre un
ennemi qui voudrait débarquer. II faudrait, d’après lui, une tour et une enceinte
crénelée contenant des logements pour 160, peut-être même 200 hommes, et il se
demandait si le Ministre voudrait approuver cette dépense qu’il estime 55.000
livres. Incidemment, il signale l’utilité d’un feu de bois qui serait allumé six
mois de l’année sur l’île Penfret.
Quelques années plus tard, en 1754, en prévision d’une
guerre qui ne devait pas tarder à éclater, le duc d’Aiguillon récemment nommé
Gouverneur de Bretagne, reçut du Ministre de la Marine, Machault d’Arnouville,
des instructions précises pour s’occuper de la défense des côtes. En ce qui
concerne les Glénans, tous les avis exprimés jusqu’alors étaient favorables à l’établissement
d’un fort dans l’île Cigogne, quand le Chevalier Des Roches, en réponse à une
lettre du Ministre de la Marine, émit un avis différent dans un mémoire très
remarquable que sa longueur seule m’a empêché de reproduire in-extenso.
Après avoir exposé la question sous ses différents points de
vue, il arrive à la conclusion suivante
Je crois n’avoir omis aucun des inconvénients qu’on peut
imputer aux îles des Glénans dans leur état actuel, avoir prouvé que de ces
inconvénients plusieurs sont imaginaires et que la Marine seule peut pourvoir
aux autres, et je crois, en conséquence, être en droit de conclure qu’il serait
au moins inutile d’élever un fort sur File Cigogne.
Le Chevalier des Roches ajoutait même que si les corsaires
prenaient Cigogne et s’y installaient, il faudrait une armée navale pour les en
chasser. Cet avis fut combattu par Le Royer de la Sauvagère qui présenta, deux
mois plus tard, son projet du fort de l’île Cigogne, dont il évalua la dépense
à 200.000 livres. Ce projet, reconnaît-il, est combattu par les officiers de la
Marine de Brest a pleins d’ardeur à se rendre utiles, mais alors il faudrait
deux frégates coûtant chacune 30.000 livres pendant toute la durée de la
guerre….. et un coup de vent peut les éloigner.
En présence de ces avis contradictoires, le duc d’Aiguillon
voulut examiner la question personnellement. Un nouveau plan de l’archipel,
plus exact que les précédents, avait été dressé par Villeminot (2 juillet 1755)
et, dès le 26 juillet suivant, le duc s’embarqua pour les Glénans. D’après son
itinéraire, qui a été conservé, son navire mouilla successivement aux points suivants
: Penfret, le Loc’h (nord-ouest et sud-est), Cigogne, Bananec, Saint-Nicolas et
enfin dans la Chambre.
L’établissement d’un fort à l’île Cigogne fut alors
définitivement adopté, et de nouveaux projets furent demandés aux ingénieurs.
Celui de Frézier, Directeur des fortifications de Bretagne,
comprenait une tour avec une enceinte bastionnée. Le projet de La Sauvagère
consistait en batteries circulaires superposées occupant toute la surface de l’île.
Cet Ingénieur proposa en même temps l’établissement d’une batterie circulaire
au nord-nord-est de l’île Penfret.
Voici, d’après La Sauvagère, l’extrait d’une estimation
générale des dépenses à faire, pour la défense des côtes aux abords de
Concarneau.
Begmeil, batterie .........................................
|
8.106l
|
3e
|
3d
|
Ile Cigogne, batteries circulaires(haute
et basse ......................................................
|
247.782
|
4
|
10
|
Penfret, pointe-nord, batterie circulaire
et retranchements ...........................................
|
39.216
|
17
|
6
|
Plateforme sur une des tours de Concarneau
pour y placer 4 pièces de canon .........
|
1.270
|
6
|
8
|
En ce qui concerne le fort Cigogne, le projet, après avoir
subi des réductions qui ramenaient le chiffre de la dépense à 115.0001,
fut approuvé, ainsi que cela résulte d’une lettre, en date du 4 mai 1750, dans
laquelle le Duc d’Aiguillon donne au Ministre quelques détails sur le commencement
des travaux. Voici cette lettre :
Quimper, le 4 Mai 1756..
ILES
DES GLÉNANS
Fort
ordonné dans l’île
LE
DUC D’AIGUILLON,
Les Glénans, Monsieur, sont un assemblage de plusieurs petites
îles et de roches qui forment de bons havres pour les barques, où les corsaires
peuvent être à couvert de tous les vents et s’y tenir sans être vus de la côte.
Ils y avaient fait un établissement pendant la dernière guerre, d’où ils
couraient sur toutes les barques qui sortaient des rivières de Quimper,
Quimperlé, du port de Concarneau, etc., etc., et sur celles qui faisaient le
cabotage de Brest au Port-Louis et à Nantes. Ils firent un tort immense au
commerce, à la pêche, et enlevèrent une quantité prodigieuse de matelots. Parmi
ces îles, il n’y en a que trois qui aient quelque consistance, les autres n’étant
que des rochers un peu étendus. La plus considérable est celle du Loc, mais
elle est presque entièrement occupée par un étang d’eau saumâtre, et tout le
reste est fort marécageux. L’île de Penfret a un terrain moins aquatique et qui
pourrait produire, s’il était cultivé ; le mouillage y est fort bon dans
la partie de l’est, mais, comme elle est un peu éloignée dans le sud des autres
îles, sa position n’est pas aussi avantageuse. Celle de l’île Saint-Nicolas est
beaucoup plus favorable : outre qu’elle est plus près de Concarneau, dont
elle n’est éloignée que de trois lieues et demie, c’est elle qui, avec l’île de
Cigogne, forme le port des Glénans qu’on appelle Chambre, où on entre à tout
vent, et où on peut échouer sans aucun danger quelque temps qu’il fasse. Cet
asile est d’un grand secours pour toutes les barques de pêche et de cabotage,
soit qu’elles se trouvent assaillies d’une tempête, qui les empêche de gagner
les ports de la Grande terre, soit qu’elles ne veuillent pas s’y affaler pour
pouvoir continuer leur route plus aisément lorsque l’orage est passé. Le fort
que vous avez ordonné de construire sur l’île Cigogne leur assurera cet abri,
dont les corsaires se seraient bientôt emparé, sans cette protection.
La Cigogne est d’autant plus favorable à ces établissements qu’elle
est très élevée, et domine sur toutes les autres îles, et principalement sur la
Chambre, dont elle bat les deux entrées à, la portée du fusil. D’ailleurs, c’est
un rocher vif dont le fort embrassera toute la circonférence, et dont les
approches seront par conséquent impossibles. On ne pourra l’attaquer qu’en
établissant des batteries sur l’île Saint-Nicolas, ce qui serait une opération
longue et difficile, et, en supposant la brèche faite et praticable, on ne pourrait
y arriver qu’en traversant à découvert un bras de mer dans lequel il reste même
à basse mer deux ou trois pieds d’eau, dans une étendue de 400 toises, dans la
partie la plus étroite. Je ne pense donc pas que ce fort puisse jamais être attaqué
avec succès, et je suis persuadé que le commerce, le cabotage et la pêche en
retireront de grands avantages; mais je crains que les Anglais, qui les
connaissent aussi bien que nous, ne nous donnent pas le temps de le mettre en
état de défense, quelque diligence que nous puissions apporter à son exécution.
J’ai pris toutes les précautions convenables pour l’assurer au moyen du détachement
que je fais passer dans l’île Saint-Nicolas, et je suis très persuadé que les
corsaires, quelque nombreux et hardis qu’ils puissent être, n’oseront pas l’attaquer;
mais, si les grands préparatifs que les Anglais font depuis si longtemps dans
leurs ports ont pour objet quelque partie de la Bretagne, ils ne manqueront pas
de commencer par s’emparer de ces îles, et, quelque ferme que soit l’officier
que j’y place, quelque bien retranché qu’il soit, il n’est pas possible de se
flatter qu’avec 50 hommes il puisse résister aux forces d’une escadre nombreuse
qui aura résolu décisivement de le prendre. Il me semble que c’est le cas où,
pour la certitude d’un grand bien, il faut risquer l’incertitude d’un petit
mal.
J’ai l’honneur de vous envoyer le projet du fort que nous avons
adapté à la forme de l’île et qui me paraît remplir toutes les vues de défense
de protection et de commodité qu’on peut avoir ; on l’exécutera si vous l’approuvez.
La dépense excède de 12.5011 2s 10d celle que
vous avez fixée, mais, comme on peut retrancher certains articles, qui ne sont
que de commodité et peuvent par conséquent se différer, il n’y aura que 3.601l
3s 5d à ajouter à la somme que vous avez déterminée, et
on les prendra, si vous l’approuvez, sur les 63.072 livres affectées au rétablissement
des batteries. Le local n’a pas permis qu’on diminuât la capacité du fort,
étant indispensable d’embrasser toute l’île, ainsi que j’ai eu l’honneur de
vous le faire observer. D’ailleurs, la construction des barriques pour loger la
troupe emporte une somme de 1.500 livres, qu’il n’est pas possible de retrancher.
Je vous supplie d’ordonner à M. de Morogues d’envoyer incessamment
sur ces îles 4 pièces de canon de 22 et 2 de 8 avec leurs affûts, armement et
munitions, afin que le détachement puisse s’y établir et être en état de s’y
défendre et de protéger les ouvriers. Il n’est pas moins nécessaire que vous
ayez la bonté d’ordonner à M. Hocquart d’affecter une chaloupe au service de ce
poste, tant pour les besoins qu’il peut avoir dans la grande terre que pour
faire passer soir et matin les ouvriers de l’île Saint-Nicolas, où ils logeront,
à l’île Cigogne où ils travailleront, et les soldats qui les escorteront. J’ai
écrit à M. de Conflans pour le prier de faire croiser une frégate dans cette
partie, pour protéger les ouvriers, jusqu’à ce que l’établissement des troupes
soit fait, et que les canons soient arrivés. Cette protection est d’autant plus
nécessaire, qu’il y a paru un corsaire depuis quelques jours qui a fait deux
prises assez considérables. Mais elle sera bientôt inutile, si les canons ne
tardent pas à arriver, les baraques étant déjà fort avancées.
Vous connaissez, Monsieur, mon respectueux attachement pour
vous.
LE DUC D’AIGUILLON.
Les travaux du fort Cigogne furent en effet commencés, mais
ils se trouvèrent brusquement interrompus au bout de deux ans, car, à l’approche
de la flotte anglaise, tous les ouvriers s’enfuirent. En 1768, les travaux n’avaient
pas été repris, bien que les pièces de canons demandées eussent été envoyées,
et qu’il y eût pour les servir cinq canonniers, dont « un maître »,
fournis par les bataillons gardes-côtes.
Pendant cette période, la garnison était assez nombreuse et
avait son aumônier, ainsi que le démontrent plusieurs actes de décès inscrits
sur les registres de la paroisse de Fouesnant, dont dépendaient les Glénans.
L’an 1758, le 24 novembre, j’ai enregistré l’inhumation faite à
l’île Saint-Nicolas des Glenans par Missire François Guillou, aumônier du Roy,
de deus corps morts jetés par les flots de la mer à la côte des îles de Glenans
et qu’on croit provenir du naufrage de la barque ou chasse marée la Sainte Anne,
dont estait maitre Clément Guillotin de la paroisse d’Arzon, Evêche de Vannes,
suivant la reconnaissance faite par le Sr Beriet, commis aux devoirs
et Rochedreux, canonnier, et demeurera la lettre dudit St. Guillou d’attache au
présent enregistrement, la dite inhumation faite aux Glénans le 1er
octobre de la présente année.
Signé : PERROT, Recteur de Fouesnant.
Le 16 mars 1760, le corps de Charles Duchemin, fils de .Jean-Baptiste
Duchemin, et de Marie-Marguerite du Bois, pare : de Saint-Pierre-de-Chaillot,
faubourg de la Conférence, de Paris, soldat de la Compagnie de M. de la Roche, capitaine
au régiment de Chartres-infanterie, décédé aux Iles de Glenans, a été inhumé
dans l’île Saint-Nicolas par Missire Guillon, aumonier de la garnison aux dites
Iles, le 3e jour du mois de mars, suivant le certificat qui nous a
été envoyé pour faire l’enregistrement sur le registre des sépultures de la paroisse
de Fouesnant, ledit certificat signé dudit sieur Guillon, de Larseur,
Lieutenant audit régiment et de Faunis, chirurgien, qui demeure d’attache aux present.
Enregistré par nous, ce jour de mars 1760.
Signé : PERROT, Rr de Fouesnant.
Quelques mois plus tard, le 21 ,juin 1760, le même registre
mentionne la mort de deux grenadiers du régiment d’Ailly, compagnie de Faloir,
noyés par accident aux environs des Iles de Glénans. L’acte est signé par l’aumônier
en présence du capitaine de la Grasserie et des lieutenants Lesparre et Leaurepos.
Le 27 février 1761, le registre mentionne le décès de deux
soldats du régiment de Lorraine, compagnie Thomas.
Ce sont les seuls actes que j’ai pu découvrir concernant les
Glénans.
Après le funeste traité de paix de 1763, l’achèvement des
fortifications des Glénans fut perdu de vue, et il sembla possible de reprendre
les tentatives précédemment faites pour mettre ces îles en valeur. C’est
alors
que le Sr Landais circonvint l’administration des domaines de la
Bretagne à Concarneau et obtint, en 1768, comme on l’a vu précédemment, l’afféagement
des Glénans dans des conditions absolument irrégulières. A peine installé, il
se plaint de l’envahissement de ses nouvelles propriétés, et envoie des
protestations d’une part contre le surveillant des travaux qui, dit-il, s’en
considérait comme le maître, d’autre part, contre l’entrepreneur du fort qui
avait ouvert de nouvelles carrières. Dans un rapport sur ces réclamations, il
est rappelé que les ouvriers employés aux travaux du fort Cigogne ne trouvaient
dans cet îlot rien de ce qui leur était nécessaire, et qu’ils devaient venir
chercher à Saint-Nicolas leur eau, toutes leurs provisions et un gîte. C’était
pour eux que le duc d’Aiguillon avait fait construire des barraques ayant coûté
six mille livres. Le surveillant des travaux, également forcé de se loger à
Saint-Nicolas, cultivait quelques lopins de terre sans importance. Les réclamations
de Landais, jugées mal fondées, ne furent pas accueillies.
En 1772, le commandant de la Rosière, chargé d’une
reconnaissance générale des côtes de Bretagne entre la Normandie et le Poitou,
a consacré aux Glénans, un chapitre qu’il est intéressant de reproduire :
On appelle les Glénans, douze petites îles entremêlées et
environnées d’une quantité de rochers dessus et dessous l’eau, qui sont à trois
petites lieues au sud sud-est de la pointe de Mousterlin, dont l’étendue de l’est
à l’ouest est de deux lieues et du sud au nord d’une lieue.
Quatre de ces îles : Saint-Nicolas, Drenec, Cigogne et Bananec,
forment, un port appelé La Chambre, assez étendu pour contenir 30 navires, et
ou le mouillage est excellent par deux brasses au plus. II y a une passe à l’est,
et une à l’ouest, qui en facilitent la sortie à tous vents, et les bâtiments y
sont d’autant mieux placés qu’ils ne sauraient être aperçus que lorsque l’on n’est
plus à, portée de les éviter. Il est défendu par un fort construit sur l’île
Cigogne qui répand son feu à l’est, au nord et à l’ouest, mais qui est encore
imparfait, et sur lequel il n’y a que deux pièces de canon.
Il y a sur l’île Saint-Nicolas, qui couvre le port au sud,
quelques bâtiments militaires, une chapelle et deux batteries, ensemble de six
canons, pour la défense de deux petites anses de sable qu’elle a, l’une au
nord, et l’autre au sud, et qui lui servent de port.
L’île de Penfret, la plus à l’est, est la plus grande et serait
susceptible de quelque culture. On peut mouiller à l’est et au nord de celle-ci
par 10-12 brasses. Un fortin y serait très bien placé et très utile pour la protection
du cabotage et de la pêche. Il y a dans cette île un bon puits d’eau douce.
Celle de Lock, ou de l’Etang, la plus au sud et la plus grande
après la précédente, a, au sud-ouest, une petite anse appelée Port-Sterval, où
il reste à basse mer deux brasses d’eau et dont l’entrée est en partie défendue
par le fort Cigogne. Il y a au milieu de cette isle un étang qui sèche quelquefois
et un puits d’eau saumâtre. la partie du nord serait assez élevée pour mettre à
couvert du feu de l’Isle Cigogne.
Entre les Glénans et la pointe de Mousterlin, est un gros
rocher appelé l’Isle aux moutons, et au sud sud-est de ce dernier, le banc des
Pourceaux qu’on laisse à gauche, lorsqu’on vient des Etocs de Penmarck, et qu’on
passe en terre des Glénans. On peut passer entre ce banc et l’Isle aux Moutons,
mais il faut beaucoup d’attention pour éviter les rochers.
A la suite de ce travail fait par la marine, M. de la Servinière,
ingénieur en chef au Port-Louis, envoya en 1773, M. du Breuil, ingénieur sous
ses ordres, faire l’inspection des travaux de défense des côtes et en rendre
compte.
Les bâtiments, dit ce dernier, à propos du fort des Glénans, sont
en assez bon état, et les couvertures solides, mais les portes, les fenêtres et
les chassis ont été volés par les matelots. Il faudrait achever la citerne et y
envoyer le gardien de Saint-Nicolas, qui y mange plus que ne valent tous effets
du Roy, et, en un mot, s’occuper de finir ce fort dont la plus grande partie
est terminée.
M. de la Serviniére se transporta à Saint-Nicolas, mais il reconnaît
que pendant son séjour il ne lui fut possible d’aborder qu’une fois à l’île Cigogne.
Il put cependant constater que la face de l’est et les deux bastions étaient dégradés
et les pièces de canon culbutées. « La chapelle et le bout des casernes,
auraient été emportés par la mer, qui a déjà mangé quatre toises, si le gardien
n’avait fait un mur de pierres sèches pour les protéger. » A la suite de
son inspection, cet ingénieur fit, à son tour, des propositions pour la mise en
état du Fort Cigogne, mais, dans un mémoire fort détaillé, il reconnaît combien
l’entretien en est difficile. « Les vaches des afféagistes passent partout, les
matelots, qui abordent nuit et jour, en font autant, et tout est dans le plus
grand désordre. De plus, le fort toujours abandonné, est toujours à refaire à
la première guerre. »
En outre, l’afféagiste Landais, dont nous avons vu les plaintes
au moment de son installation, fut mis en demeure de démolir des bâtiments
construits trop près du fort, et qui en bornaient la vue, ayant créé des jardins
entourés de murs, il vendait des légumes aux matelots très nombreux à l’époque
de la pêche, et avait fini par s’associer avec un nommé Viau, ancien capitaine
de vaisseau marchand, qui était venu s’installer là avec une douzaine de petits
enfants.
Comme l’emplacement des bâtiments n’avait pas été soumis à l’approbation
des ingénieurs, Viau fut obligé de prendre, vis-à-vis l’Etat, l’engagement de
les démolir à première réquisition, et, comme il y avait mis tout son argent,
sur les conseils de Landais, il devint furieux. Les rapports avec le
surveillant n’en furent que plus difficiles, et ce dernier fut dénoncé comme faisant
de la fraude, « c’était un vieux maréchal des lotis, honnête homme et fort
considéré à Concarneau » et les commis assurèrent qu’il ne « fait
aucune fraude », aussi ne fut-il donné aucune suite à la
dénonciation.
Au mois de Mars 1780, la proposition de M. de la Servinière
fut envoyée par le maréchal de Maillé à M. le Marquis d’Aubeterre, en indiquant
subsidiairement une solution moins coûteuse. Au dossier figure une note de M.
le Chevalier de Palys, ingénieur au Port-Louis, qui explique la situation au
point de vue financier. II convient de la reproduire :
On a établi sur cette Ile (Cigogne), en 1756, un fort en maçonnerie
pour cent hommes de garnison, avec casernes voisines à l’épreuve de la bombe,
citerne, chapelle, etc.
ü L’estimation de dépenses pour la construction était de ................ 115.000
ü Dans trois années qu’on y a travaillé, on y en a dépensé ............. 75.000
ü II restait donc à faire pour terminer cet ouvrage une dépense de 40.000
Depuis 1758 que ce fort a été discontinué, on y a volé toutes les
portes et fenêtres, et on estime que leur remplacement, ainsi que la réparation
des dégradations, que vingt-et-un ans d’abandon peuvent avoir produit, peuvent
monter à dix mille livres; ainsi, pour mettre ce fort à l’état convenable à l’objet
essentiel pour lequel il est fait, il en coûterait donc à peu près cinquante
mille livres.
Si l’intention de la Cour est que ce fort soit rétabli, il est
nécessaire qu’elle donne promptement des ordres à ce sujet, afin qu’on ait le
temps de faire les approvisionnements convenables pour pouvoir y travailler
dans la belle saison.
Le Chevalier de PALYS
M. d’Aubeterre répondit à M. de Maillé que la dépense à
faire pour l’achèvement des travaux au fort Cigogne, semblait bien élevée et qu’il
n’était pas possible de statuer sur le vu de devis faits depuis 21 ans, d’autant
que, s’il était possible d’établir de nouveaux fonds, ils seraient beaucoup
plus utilement employés à l’île de Bréhat. I1 ajoutait qu’il serait préférable
d’adopter une autre combinaison indiquée par M. de Maillé, d’après laquelle il
suffirait de mettre en batterie les quatre pièces qui existaient à l’île
Cigogne, d’y rétablir le magasin à poudre, le corps de garde, en un mot, de
former dans cette île un établissement pour un détachement de 21 hommes au plus.
M. de Montbarey serait alors invité à y envoyer un poste de 25 hommes qui
suffirait. L’envoi d’un mortier serait ajourné.
En l’absence de documents relatifs aux années suivantes, on
ne peut faire que des conjectures sur l’état des défenses des Glénans. Il est
probable qu’elles furent désorganisées, comme tous les autres services publics
pendant les premières années de la République. Cependant il en subsistait
quelques restes, car Cambry, qui dans le récit de son voyage en Bretagne en
1791, parle des Glénans, probablement sans y être allé, mentionne une garnison
dont l’existence me parait fort problématique ; car tout semble indiquer que
ces îles furent alors presque abandonnées.
Cette même année, le représentant du peuple, Nion,
présenta, le 28 frimaire an III (8 décembre 1794), sur la situation des côtes
Sud de Bretagne, un long mémoire dans lequel, à propos des Glénans, il se borne
à insister sur la nécessité d’y construire plusieurs phares. Ce rapport fut renvoyé
le 9 nivôse an III (23 janvier 1795) à la section de Législation.
D’autres propositions furent faites pour remédier à cet
abandon, et une conférence se réunit pour les examiner en l’an IV. Elle mit en
présence les divers services intéressés de la Guerre et de la Marine, mais la Marine
réclama contre la part que s’attribuait la Guerre, et la conférence n’aboutit
pas. Bref, rien ne fut décidé, bien que plusieurs projets de mise en état du
fort eussent été présentés en 1796 et 1801.
Le Général du Génie Marescot raconte qu’étant, en 1802, en
tournée d’inspection avec l’amiral de Rosily, il trouva le fort Cigogne fermé
et sans garnison ; ils y pénétrèrent cependant sans la moindre difficulté en
escaladant les clôtures. Cet abandon ne pouvait se prolonger, car il était
facile de prévoir que la paix avec l’Angleterre, signée à Amiens en 1802, n’aurait
qu’une durée éphémère, et, sous l’impulsion du premier Consul, les côtes de
France se couvrirent de batteries. Il en fut établi deux à Benodet et à
Saint-Gilles, sur la rive gauche de l’Odet, et sept dans la baie de Concarneau,
à Begmeil, à Beuzec-Conq, à la Croix et au Fer-à-Cheval de Concarneau, à Lanriec-Cabellou,
à la .Jument et à Trévignon en Trégunc.
Le 1er Vendémiaire an XI (24 Septembre 1802) l’armement
du fort Cigogne consistait en un mortier de 10 pouces et huit canons en fer (3
de 24 et 5 de 16). Il y avait dans l’île, « corps de barde, poudrière,
boulangerie, hôpital, citerne et gril à rougir les boulets ». Un gardien
et une vigie y étaient installés, avec 25 hommes de garnison. Deux ans plus tard,
le 1er Vendémiaire an XIII, la situation était la même, mais on réclamait
le remplacement du gril par un fourneau à réverbère, « la poudrière renferme
3.000 kil. de poudre. » En 1809 et 1813, l’armement du fort Cigogne ne s’était
pas modifié.
Pendant cette période, se place l’épisode du Vétéran,
raconté en grand détail par Levot, et peut-être un peu dramatisé, si on se
reporte à la relation officielle. C’était un vaisseau de 86 canons, tout neuf,
commandé par le prince Jérôme Bonaparte, le plus jeune des frères de l’Empereur,
à qui on avait adjoint un état-major de choix d’où sont sortis quatre amiraux.
Ce vaisseau se trouvant isolé et poursuivi par la flotte anglaise jusque sous
la pointe de Begmeil, était, le 26 Août 1806, à la merci de l’ennemi. S’il ne
voulait pas se laisser prendre, il n’avait qu’à se faire sauter, quand un simple
marin de Concarneau, Furic,
s’offrit à conduire le vaisseau à travers tous les écueils, et réussit à l’amener
sous les murs de la ville auprès du bac de Lanriec dans une fosse où le vaisseau
pouvait flotter à mer basse, à condition d’être maintenu par quatre amarres. II
fut désarmé et on dut attendre près de deux ans avant de trouver une occasion
favorable pour le ramener à Lorient. La côte avait été préalablement hérissée
de canons et des feux allumés sur les roches les plus dangereuses ; il put
ainsi échapper à la surveillance des croiseurs anglais.
A la suite de sa tournée en Bretagne, le général Marescot,
dans un rapport daté de 1807, constate, à propos du fort Cigogne, que le mur
est trop faible pour résister au canon. II faudrait, d’après lui, porter la
garnison au chiffre de 120 à 150 hommes avec 10 à 12 bouches à feu, et, en
tout, si on voulait armer trois batteries sur les autres îles, 250 hommes et
une vingtaine de bouches à feu.
L’Empereur était partisan, pour la défense des côtes, de
tours en maçonnerie à l’épreuve de la bombe et pourvus d’une forte artillerie.
Il en aurait été, parait-il, construit deux à Quélern. En ce qui concerne les Glénans,
la décision du 23 mars 1811, qui autorise une dépense totale de 60.000 francs,
prévoit 35 000 francs pour la mise en état du fort Cigogne et 25.000
francs pour établir sur l’île Saint-Nicolas des batteries, ou une tour. On ne
peut aujourd’hui identifier l’emplacement de cette tour, car il n’en reste
aucune trace, et il est probable qu’elle n’a pas été construite, les ingénieurs
ayant émis un avis défavorable.
En 1816, tous les forts et batteries de la côte ayant été
désarmés, les officiers du génie furent invités à faire des propositions pour
les dépenses d’entretien à prévoir dans leurs services, propositions qui
devaient être soumises à la Commission de la défense des côtes. Leurs rapports,
unanimes pour reconnaître l’absence d’utilité du fort Cigogne, insistent sur ce
que, pendant la dernière guerre maritime, les Anglais avaient trouvé un bon
mouillage derrière l’île Penfret, et s’y étaient maintenus constamment malgré
le fort Cigogne, tandis que la garnison française, quelquefois bloquée pendant
15 jours de suite, s’était vue obligée de négocier avec l’ennemi une espèce de
convention pour qu’il n’interceptât pas le passage des bateaux chargés de son
approvisionnement, par contre, on ne tirait pas sur le mouillage de l’escadre
anglaise, où les bombes ne pouvaient l’atteindre que par un tir d’ailleurs
incertain. On avait même été forcé de fermer les yeux sur les communications de
nos pêcheurs avec les bâtiments ennemis auxquels ils fournissaient quelques
provisions fraîches pour avoir la liberté de pêcher tranquillement dans la baie.
La conclusion dés Ingénieurs était que la conservation du
fort n’avait plus désormais aucun intérêt; mais, que, puisqu’il existait, il
était toujours bon de le maintenir, ne fût-ce que pour gêner les mouvements de
l’ennemi, s’il ne pouvait les arrêter totalement.
Toutefois, en 1817, il n’était point occupé et la garnison
ne se composait que d’un seul gardien. Voici en quoi consistait alors cet
ouvrage :
La forme du fort Cigogne est celle d’une redoute, dont les
quatre faces sont courbes ; la face antérieure et une partie de la face
gauche ont des parapets. Le reste est sans terrassement et n’est point terminé.
Un pont-levis et des ponts dormants donnent entrée dans le fort dont la porte d’entrée
est au fond d’un renfoncement demi-circulaire. La grande quantité d’îles et de
rochers qui l’entourent, le rendent inaccessible à tout vaisseau de haut bord;
des bâtiments légers peuvent seuls en approcher, mais les abords en sont
dangereux quand on ne les connaît pas. Il est, en outre, presque impossible d’emporter
cette petite forteresse de vive force, l’espace qui sépare l’enceinte de la mer
est très étroit et d’un accès difficile, à cause des rochers escarpés et des varechs
ou gouëmons qui l’entourent. On a proposé, autrefois, de couvrir la porte d’entrée
par une demi-lune ; cet ouvrage parait à juste titre superflu. Ce serait un
excès de précaution dont on peut se passer, et ce qui le prouve, c’est que l’ennemi
n’a pu s’emparer de ce fort, et n’a même pas essayé malgré l’intérêt qu’il
avait à s’en rendre maître.
Le fort Cigogne était pourvu de tous les établissements nécessaires.
Des casemates à l’épreuve de la bombe étaient établies sous le massif du
rempart, à droite et à gauche de la porte d’entrée, et sous une partie des faces
contigües. Leurs façades donnaient sur la cour intérieure.
Ces casemates servaient de caserne pour une garnison de 100 hommes,
de chambres pour les officiers, de magasin à poudre, de magasins aux vivres, de
boulangerie et de cantine. A droite de l’entrée, deux autres chambres souterraines
séparées par un mur de refend, servaient la première de prison et l’autre en
arrière de cachot. À gauche, un bâtiment construit pour servir d’hôpital, est
en assez bon état, à l’exception du plancher qui demande à être refait à neuf.
Tous ces logements voûtés sont humides, il parait que les chapes n’ont pas été
faites avec soin. La citerne se trouve en avant de l’hôpital ; elle est voûtée,
à l’épreuve de la bombe, et peut contenir 288 000 litres d’eau, quantité
suffisante pour la consommation de cent hommes pendant six mois.
Le magasin à poudre également voûté à l’épreuve de la bombe, pouvait
recevoir 10.000 kilogrammes de poudre. Le plancher est vieux et est à changer.
En somme, les maçonneries du fort étaient généralement en
bon état, sauf quelques infiltrations dans l’intérieur des casemates, dont la
réparation fut ajournée.
La question de la défense des côtes restait toujours à l’ordre
du jour. En ce qui concerne les Glénans, il existe au Ministère de la Guerre un
mémoire de l’ingénieur Corréard
où se trouve indiquée la préoccupation du danger possible d’un séjour prolongé
de l’ennemi au mouillage de Penfret, à l’abri du tir du fort Cigogne. Corréard
estime qu’il serait impossible à la garnison du fort de résister à l’attaque d’un
ennemi supérieur en force, tant en hommes qu’en bouches à feu. II indique que
pour une distance très éloignée, on pourrait employer, comme on
l’a fait au siège de Cadix, à Toulon et à Oléron, les obusiers du système Villantroys.
La Commission, dite de la défense des côtes, constituée en
1818, s’occupa à plusieurs reprises des Glénans. Après avoir écarté le projet
du général Marescot, qui voulait augmenter l’importance du fort Cigogne, elle
fut cependant d’avis de le conserver, en demandant seulement qu’on améliorât le
côté sud-ouest de l’enceinte et en signalant comme urgent l’entretien des
casernements. La Commission par contre demanda l’établissement de redoutes dans
chacune des trois îles de Saint-Nicolas, du Loc’h et de Penfret.
Après une étude plus attentive des localités, le Comité du
Génie se borna, en 1825, à demander la construction d’un fortin à Penfret,
proposition qui fut l’objet d’avis favorables de la Commission de défense des
côtes en 1836 et 1841.
En 1840, l’horizon politique s’étant de nouveau obscurci, les
vieux canons en fonte du fort Cigogne furent remplacés par quatre canons de 30,
destinés à battre les principales passes de la Chambre. La Commission insista
de nouveau sur l’urgence qu’il y avait à réparer et aérer les casernements,
remplacer les charpentes pourries et rendre habitable les magasins et corps de
garde. Ce fort, ainsi complété, pouvait battre les trois îles de Saint-Nicolas,
du Loch et de Penfret à 800, 1.800 et 3.000 mètres de distance. A la suite de
ces travaux, il a été l’objet d’un arrêté de classement (3e
importance), le 10 août 1853, et à la suite de conférences mixtes, son armement
fut augmenté en 1859 d’un mortier de côte de 32.
Mais, après la guerre de 1870-71, une nouvelle Commission s’occupa
de la défense des côtes ; d’autres idées avaient prévalu et un grand
nombre de petites places furent reconnues inutiles. Le fort Cigogne se trouva
du nombre fut abandonné et finalement déclassé par la loi du 27 mai 1889.
Malgré les avis donnés par la Commission de défense des
côtes, en 1825, rien n’avait été fait à Penfret quand les Ingénieurs des Ponts-et-Chaussées
présentèrent en 1831 un projet de phare à la pointe sud de l’île. Le projet du
fort sortit aussitôt des cartons du génie, des conférences mixtes s’ouvrirent
et un accord s’établit entre les deux services sur les bases suivantes. Le fort
devait être placé sur la pointe nord de l’île, qui en est le point le plus
élevé, et, comme son tir aurait été gêné, si le phare avait été établi à la
pointe sud, il fut décidé que le phare serait reporté dans la partie nord de Penfret,
à l’emplacement même que devait occuper le fort. Le phare, dont la construction
fut commencée immédiatement, eut son feu allumé le ler octobre 1838.
Quant au fort, il fallut la crise politique de 1840 pour en
faire décider la construction. En 1841, la Commission émit l’avis qu’il y avait
lieu d’occuper l’île Penfret ; 1° pour défendre le mouillage qui se trouve
à l’est-nord-est ; 2° pour battre le bras de mer qui sépare les Glénans de Trévignon.
Les travaux aussitôt commencés furent terminés en 1847. Le fort se composait d’un
réduit et d’une batterie circulaire, placée à 50 mètres en avant du phare, il
avait 50 mètres de longueur sur 40, et contenait des casernements et une très
grande citerne.
Par une porte débouchant dans le fossé, il communiquait avec
la batterie qui fut armée de 8 pièces, 3 canons de 30, 3 obusiers de 22 et deux
mortiers de 30, dirigeant leurs feux, partie sur le mouillage, partie sur la
pointe de Trévignon. La butte sur laquelle le phare avait été établi couvrait
suffisamment ces ouvrages contre les feux directs du large.
Le fort de Penfret a été classé (2e importance)
le 27 septembre 1861, mais il a été désarmé en 1873 et déclassé ainsi que le
fort Cigogne, le 27 mai 1889, après une existence de quelques années. Le 9 mai
1891, tous les bâtiments, devenant de simples annexes du phare, ont été remis à
l’administration des Travaux Publics.
Le récit fait par Cambry en 1791, de son Voyage dans le
Finistère, dont il était alors administrateur,
est la première description un peu détaillée que nous ayons des Glénans. Après
avoir dit que les 50 hommes de garnison du fort Cigogne formaient alors toute
la population de l’archipel, il en donne la description suivante qui est encore
assez exacte aujourd’hui.
Le propriétaire des Génans pourrait, en temps de paix, en tirer
un grand parti, il se contente d’y élever quelques bestiaux et d’y faire de la
soude ; de grands troupeaux s’y nourriraient. On. y pourrait établir des
presses et des magasins, saler, sécher une prodigieuse quantité de poissons,
récolter les plus beaux froments, cultiver les meilleurs légumes, l’asperge y
croit spontanément : une multitude de lapins vivaient sur ces îles il n’y
a pas trente ans, on en trouve, mais en moins grande quantité. La cane royale,
le plus bel oiseau de l’Europe, paraît naturel à ces îles.
Elles furent habitées jadis; des marins attestent avoir vu, à
une demi-lieue clans l’ouest de l’île aux Moutons, un mur, une grande voûte
faite de, main d’homme à 26 pieds de profondeur sous l’eau, on ne les aperçoit
que dans les plus grands calmes. Dans l’étang de file du Loc’h, ils ont vu des
pierres druidiques.
Cambry ne mentionne pas la tradition persistante dans le pays
que l’archipel des Glénans formait autrefois une grande île : par
contre
il rapporte
qu’on allait jadis à pied sec de la pointe de Begmeil à l’île
aux Moutons, une des îles des Glénans, séparée présentement par une grande
lieue de mer, et par une profondeur de treize brasses d’eau.
Les premiers guides du voyageur dans le Finistère ne
mentionnent pas les Glénans, et il faut arriver à M. Ardouin Dumazet pour
trouver un auteur qui parle de cet archipel après l’avoir visité.
L’île Saint-Nicolas est, sinon la plus grande (sa
surface cadastrée est de 17 hectares 31 ares), du moins la plus importante au
point de vue de ses relations avec Concarneau, dont elle est la plus
rapprochée.
On peut y accoster au nord, mais au sud le débarquement est
facilité par une cale : une deuxième cale a été établie en 1881, pour la
mise à l’eau du canot de sauvetage.
Saint-Nicolas ne forme en réalité qu’une seule île avec l’îlot
Becguelec et Bananec, que l’on peut, au moment des basses mers, atteindre à
pied sec. Il existe un grand bâtiment servant de cantine, une ferme, trois masures
habitées par des pécheurs, et un hangar abritant le canot de sauvetage. Le sol
de l’île est en partie cultivé, le reste est en pâturages. Trois
figuiers, s’appuyant sur un mur, sont les seuls arbres de
tout l’archipel.
On voit encore la trace des batteries qui défendaient jadis
au nord et à l’est les abords de l’île. Au nord également se trouvent deux
sépultures (?) en forme de dolmen dont les chambres avaient près de trois
mètres de longueur. La table de l’une a disparu, la table de l’autre s’est effondrée.
A la pointe de Becguelec, située à l’ouest, on voit
les ruines d’une tour (?) ou d’un four à soude : c’est près de là qu’ont été
trouvées deux amphores gallo-romaines. L’une, qui a été détruite, contenait « de
la terre brûlée et un mauvais sou. » L’autre, qui est brisée à la hauteur
du col, mesure encore 56 centimètres de hauteur ; le diamètre de la panse est
de 26 centimètres. La pâte est plus fine et plus blanche que celle des poteries
généralement rencontrées dans les tumulus.
Au nord, relié par un banc de sable toujours submergé, se
trouve Brunec, petite île surnommée la Prison. C’est là, dit-on,. que
les Anglais débarquèrent un jour quelques pêcheurs dont ils avaient saisi les
barques chargées de vivres destinés au fort Cigogne. C’est également qui ce
point que les barques françaises remettaient aux Anglais des vivres frais en
vertu de la convention dont il a été parlé précédemment.
Tous les bâtiments élevés sur cette île appartiennent au
même propriétaire, sauf le vivier construit par M. Halna du Frétay sur un terrain
maritime qui lui avait été concédé personnellement. C’est un ouvrage considérable
dont la dépense s’est élevée à près de cent mille francs. Il renferme des
compartiments séparés, principalement destinés à la conservation des
langoustes, où il est possible de faire varier le niveau de l’eau en suivant le
mouvement de la marée.
A Bananec, située à l’ouest de Saint-Nicolas, on voit
les restes d’une maison ; l’île tout entière est en landes ou en pâturages.
L’île Drénec est reliée à Saint-Nicolas par un passage
qui n’est jamais recouvert aux basses mers que de quelques centimètres
d’eau.
II s’y trouve une ferme, un excellent puits, des pâturages et des terres
de
bonne qualité.
Au nord, on voit les ruines de deux sépultures (?). D’après
la longueur des tables effondrées qui les recouvraient, l’une aurait mesuré
quatre mètres de longueur, l’autre un peu plus.
Sur la petite île de Quignenec, il n’existe qu’une
cabane servant d’abri aux ouvriers employés l’été à la récolte des varechs pour
la fabrication de la soude.
Brilimec est un rocher inculte abandonné aux oiseaux
de mer que l’on y voit réunis en très grand nombre. Au nord se trouve le rocher
la Bombe, auquel les anciennes cartes donnent, sous le nom de Laon-Arhant, une
étendue plus considérable.
Guyotec n’est pas habité et dépend de la ferme
établie à Penfret. En raison de la bonne qualité de ses pâturages, le fermier y
transporte son bétail en bateau.
Penfret, dont la surface est de plus de 39 hectares,
pourrait par ses dimensions et son importance disputer le premier rang à Saint-Nicolas;
toutes deux sont à peu près à la même distance de Concarneau.
C’est sur cette île qu’au XVIIIe siècle, M. de Marolles
avait demandé l’établissement pendant six mois d’un feu de charbon pour
signaler les écueils. Dans un rapport de frimaire an III, le représentant du
peuple Nion réclamait un phare à la pointe sud de Penfret, car il n’en existait
alors aucun entre Penmarc’h et la Loire. Beautemps-Beaupré proposa au contraire
la pointe Pen-a-Mine, au nord-est de l’île, emplacement qui finalement fut
adopté par la Commission des Phares en 1825, mais c’est seulement en 1836 que
les travaux commencèrent. Le feu, allumé le 1er octobre 1838, est
placé sur une tour carrée élevée de 36 mètres au-dessus du niveau des hautes
mers d’équinoxe ; sa portée est actuellement de 36 kilomètres.
Ce phare, ainsi qu’il a été dit, se trouve au milieu d’un
fort construit en 1812, classé en 1861, déclassé en 1889, et dont les bâtiments
ont été remis au service des phares. Les maçonneries sont en bon état, et il y
a une très grande citerne qui, si elle était nettoyée régulièrement, permettrait
aux habitants de ne pas avoir recours à un puits dont l’eau est médiocre.
Il existe dans l’île une grande maison pour les gardiens du
phare et une petite ferme. Au nord-ouest se trouve un mouillage et une petite
cale fréquentée par les yachts de plaisance. A l’est, un autre mouillage par
certains vents n’est plus tenable, et doit être abandonné. Une petite cheminée
conservée, sert aux marins d’amer.
Au sud de Penfret, se dresse le sémaphore dont le guetteur
est chargé d’un service de télégraphe. Un bateau de sauvetage existe dans l’île
depuis 1897.
Il y a une carrière de granit exploitée d’une manière
intermittente, qui peut fournir de bonnes pierres de taille pour les besoins
des ports.
Aucune trace de monuments préhistoriques n’a été signalée
jusqu’ici dans cette île.
La petite île Guiriden (ou Guirinzab, l’île aux
Salles), se compose de deux parties rocheuses reliées par un banc de sable que
la mer ronge sans cesse et qui est appelé à disparaître.
Il y a quelques années, un marin de Saint-Nicolas, nommé Bargain,
trouva dans le sable un squelette d’homme (?) d’une dimension prodigieuse. Le
fémur avait, d’après lui, dix centimètres de plus que celui d’un homme de
grande taille. Ces ossements ont été enterrés à Saint-Nicolas, sans avoir été
examinés, par aucune personne compétente.
L’île du Loc’h qui, d’après le cadastre, aurait une
surface de 58 h. 50, se trouve la plus grande des Glénans, même en déduisant la
surface très variable, (4 à 5 hectares au minimum), d’un étang qui occupe le
centre de l’île et lui donne son nom. L’eau de cet étang est saumâtre et les
bords marécageux n’évoquent guère le souvenir de la fée du Loc’h, dont la légende,
fort embellie, est racontée par Emile Souvestre, dans le Foyer breton. Voici en
quelques mots cette légende de la Groac’h de l’île du Loc’h, la cruelle fée des
eaux des Glénans.
Jadis, dans le pays de Léon, vivaient Houarn et sa fiancée Bellah
; tous deux s’aimaient tendrement mais ne pouvaient se marier faute d’argent
pour se mettre en ménage et acheter une petite vache et un pourceau maigre. La
mort dans l’âme, Houarn un jour se résolut à tenter au loin la fortune et se
mit en route avec deux reliques que lui donna sa fiancée, la clochette de saint
Koledok qui sonne en cas de péril, et le couteau de saint Corentin qui détruit
les maléfices. Bellah conserva le bâton magique de saint Vouga pour pouvoir
rejoindre Houarn en cas de besoin.
Arrivé à Pont-Aven, le pauvre voyageur entendit parler de la
Groac’h de l’île du Loc’h, plus riche que tous les rois réunis de la terre, car
un courant diabolique lui apportait les trésors de tous les navires engloutis.
bien des audacieux étaient partis à leur conquête, mais on n’avait jamais revu
aucun de ces téméraires. Malgré tous les conseils, Houarn résolut d’aller s’en
emparer et se fit conduire à l’île du Loch. Arrivé au bord de l’étang, qui en
occupe le centre, il voit se balancer près du bord un bateau en forme de cygne ;
il y monte, mais aussitôt la nacelle s’anime et entraîne l’imprudent au fond
des eaux.
Sans trop savoir comment, le Léonard se trouva dans le
palais merveilleux de la Groac’h ; la fée le reçut avec empressement et
lui donna à boire cinq douzaines de gobelets d’excellent vin. Ces libations
firent oublier au pauvre Houarn Bellah et ses serments, et il accepta avec joie
l’offre de devenir l’époux de la Sirène. C’en était fait de son âme, quand,
grâce au couteau de saint Corentin, un poisson qu’il allait découper, et qui venait
d’être péché par la sorcière, l’avertit que, malgré sa forme, il n’était qu’un
ancien fiancé de la fée, et que pareil sort l’attendait lui-même s’il demeurait
dans ce palais. Houarn voulut fuir, mais la Groac’h le saisissant avec un filet
magique, qu’elle portait toujours à sa ceinture, le transforma en grenouille.
Heureusement pour l’infidèle, à cet instant la clochette de
saint Kolédok tinta jusqu’à Lannilis, et Bellah vola au secours de son
fiancé ; grâce à son bâton magique elle parvint en quelques instants à l’étang
enchanté. En route, sur les conseils d’une ancienne victime de la Groac’h, elle
s’habilla en homme et apprit que, si elle parvenait à s’emparer du filet
maudit, la fée deviendrait impuissante.
Le costume de Bellah trompa la sirène, la jeune fille sut la
séduire et obtint la faveur de pêcher elle-même les poissons du vivier,
mais, à peine en possession du filet magique, elle le jeta sur la Groac’h et la
métamorphosa en crapaud.
Le couteau de saint Corentin rendit la forme humaine à tous
les anciens fiancés de la fée, et Houarn et Bellah, chargés de merveilleux
trésors, revinrent à Lannilis.
A l’ouest de l’île du Loch, on voit une ferme, au nord-ouest,
les ruines d’une importante usine jadis construite par M. du Frétay pour la
fabrication sur place de la soude. Cette industrie a été abandonnée il y a plusieurs
années, par suite d’une énorme dépréciation de prix des produits fabriqués. La
haute cheminée sert d’amer aux pêcheurs.
Une petite maison a été construite à la pointe nord-est par
un amateur de chasse et de pêche. A l’est on aperçoit encore les ruines d’une
sorte de tour et de vagues traces d’une batterie.
Les naufrages sont fréquents dans les parages de l’île du Loc’h
et de l’écueil de la .Jument, situé à cinq kilomètres au sud des Glénans. Aussi
rencontre-t-on sur les côtes de l’île de nombreux cimetières où reposent les
corps des victimes. Quelques-uns portent des noms significatifs : cimetière des
Grecs, des Anglais, des Irlandais. En deux endroits, les tombes sont entourées
de myrtes. La femme d’un des habitants m’a dit avoir vu un étranger venir s’y
agenouiller et prier.
D’autres tombes, par leur mode de construction, paraissent
remonter à une époque fort éloignée et se rapprocher des coffres de pierre ou Stone-cists
qui ont été rencontrés souvent en Bretagne. Les uns sont formés par quatre
dalles posées de champ et écartées de 0m 50, d’autres, dont les
dimensions sont plus grandes, peuvent être comparés à de petits dolmens. D’après
M. P. du Chatellier, un certain nombre de ces coffres auraient été fouillés par
M. du Frétay, qui n’y aurait trouvé que des ossements.
Tout à fait au sud de l’île se trouve une sorte de chaos où
M. Ardouin Dumazet a cru voir les restes d’un établissement celtique
considérable. Cette appréciation semble discutable : peut-être s’agit-il
simplement de très anciennes carrières.
Il me reste à parler de la chapelle qui existait encore
récemment à la pointe nord de file du Loch et du vénérable prêtre qui l’avait
créée, Mgr du Marhallac’h. Ce que je vais rappeler est emprunté à l’excellente
notice de M. l’abbé Rossi.
Félix du Marhallac’h était le dernier rejeton d’une très
ancienne et illustre famille de la Cornouaille. Après quelques années passées à
Paris dans le travail et l’étude, il revint se fixer en Bretagne, mais le foyer
qu’il s’était créé fut brisé par les épreuves les plus douloureuses, et i1 prit
le parti d’entrer au séminaire à 43 ans. Devenu prêtre libre à Quimper, il s’occupait
de bonnes oeuvres, s’intéressant particulièrement aux classes ouvrières. Quand
la guerre de 1870 éclata, il voulut accompagner à Paris les mobiles du
Finistère qui comptaient dans leurs rangs deux de ses neveux. La permission de
suivre l’armée lui avait été refusée en 1859; cette fois il s’en passa et
partit pour Paris comme aumônier libre, à la suite de ses Bretons. Je le vis installé
sans position officielle à Villejuif, gros village de la banlieue de Paris,
dont toute la population suivie de ses prêtres s’était réfugiée à l’intérieur
des fortifications. Villejuif semblait devenu un village de la Basse-Bretagne,
car cette localité et tous les forts voisins étaient uniquement occupés par les
bataillons de mobiles du Finistère.
L’abbé du Marhallac’h disait la messe dans l’église à moitié
démolie par les obus prussiens et visitait les ambulances. Le 29 novembre,
pendant une attaque contre les positions prussiennes, les mobiles hésitaient un
instant, et l’aumônier, qui était à côté d’eux au premier rang, dut leur
transmettre en breton l’ordre d’avancer . . . . .Mais il fallut se retirer, l’abbé
du Marhallac’h avait reçu dans son chapeau une balle qui avait effleuré le crâne
et sa soutane était criblée de trous.
Aussi son nom devint-il rapidement populaire, non seulement
à Villejuif, mais encore à Paris, et le gouvernement s’honora en lui faisant remettre
la croix de la Légion d’honneur devant tout le régiment massé sur la place de l’Hôtel-de-Ville.
Le bruit de cette vaillante conduite le rendit également populaire dans le
Finistère, et, le 8 février 1871, il était nommé député à l’Assemblée
Nationale, sans qu’il eût quitté Paris. Après avoir siégé à Bordeaux, il apprit
que des malades bretons étaient restés dans les hôpitaux de Paris et il rentra
dans cette ville pendant la Commune. Il était perdu, si, prêtre et député, il
avait été reconnu.
L’abbé du Marhallac’h revint dans son diocèse et résolut de
se consacrer à une oeuvre de grand dévouement.
La population des Glénans ne dépassait pas cent habitants, mais
en 1871, un industriel étranger avait voulu y établir un vivier; les travaux
nécessitaient un nombre considérable d’ouvriers privés de tout secours religieux
; M. du Marhallac’h s’en émut. I1 obtint, grâce à ses relations à Paris, la
création d’une paroisse aux Glénans et, comme la position était misérable et le
danger parfois fort grand, il se l’était adjugée avec l’autorisation de Mgr
Sergent.
M. du Marlrallac’h avait toujours beaucoup aimé ces îles . . .
. . Familiarisé avec la mer, propriétaire d’un bateau ponté, le Surcouf, et
doué d’un courage, qui alla parfois jusqu’à la témérité, le nouveau recteur
vint bâtir dans l’île du Loc’h une chapelle en bois dont il fut l’architecte et
qu’il disposa très ingénieusement pour servir d’habitation en dehors des
offices :
il la dédia à N.-D. des Iles. Il y disait la messe tous les jours, et le dimanche,
si le temps avait permis aux habitants des autres îles de venir, il chantait la
grand’messe et les vêpres, prêchant en français ou en breton, selon la
composition de son auditoire ; un des marins de son embarcation lui
servait de chantre. Les jours de tempête, alors que l’île du Loc’h était
inabordable, ce qui arrivait souvent en hiver, un pavillon hissé au haut d’un
grand mât, indiquait par des signaux convenus le point où l’on était rendu de
la messe, pour que tous dans les différentes îles pussent ainsi y assister.
Le jour de la Fête-Dieu, les habitants montaient dans leurs embarcations
et suivaient celle du recteur qui portait le bon Dieu; la flottille se rendait
à l’île Penfret
et on descendait dans les casemates du fort où un reposoir était dressé . . .
Dans la semaine, le bon recteur visitait ses paroissiens et pourvoyait
souvent à leurs besoins ; son temps était partagé entre ses exercices de
piété, les leçons qu’il donnait aux enfants, et son cabinet de travail où il s’instruisait
en lisant beaucoup.
Parfois sa solitude était troublée par des sinistres auxquels
il assistait sans pouvoir leur porter secours. Un soir, la tempête était déchaînée,
la mer entraînait sur les rochers de l’île un navire étranger ; il toucha et disparut
dans l’abîme corps et biens. Quelque temps après, un malheureux aborde dans l’île,
il parle une langue que personne ne comprend, mais grâce à sa connaissance de l’italien,
le Recteur apprend que le navire et tout l’équipage était grec. Bientôt la mer
apporte six cadavres; le bois ne manque pas, mais il n’y a pas d’ouvriers, l’abbé
du Marhallac’h prend alors ses outils et passe la nuit à confectionner les
cercueils. Le lendemain, les fosses sont creusées et les morts reçoivent les derniers
honneurs.
Dans une autre circonstance, son propre bateau fut entraîné au
large avec ses deux hommes d’équipage, le mât cassa, et le Surcouf se trouva en
grand danger toute la nuit... ; une autre fois il chassa sur ses ancres et
disparut pour toujours.
L’abbé du Marhallac’h était encore aux Glénans quand Mgr
Nouvel remplaça Mgr Sergent sur le siège de saint Corentin. Cinq mois plus
tard, le nouvel évêque perdit un de ses vicaires généraux et, pour le
remplacer, manda près de lui M. du Marhallac’h qui refusa d’abord, mais dut se
soumettre. Dans ces nouvelles fonctions, qu’il exerça pendant 15 ans, il donna
de nombreuses preuves de son zèle éclairé et de sa charité. Nommé protonotaire
apostolique en 1887, il mourut le 16 août 1888.
Après le départ de l’abbé du Marllallac’h, rappelé à Quimper
par son évêque, plusieurs prêtres lui succédèrent aux Glénans jusqu’en 1885,
date à laquelle le traitement du recteur fut supprimé et reçut une autre
destination. Le chiffre de la population avait beaucoup diminué et le service
divin cessa d’être célébré dans la petite chapelle qui se trouva dès lors
abandonnée. Le bâtiment tomba en ruines, la charpente et la menuiserie
servirent de bois à brûler, car le combustible est bien rare dans l’île. Les
croix en bois du cimetière que l’abbé du Marhallac’h avait créé n’existent
plus, les croix en fer elles mêmes ont disparu !
L’île Cigogne (surface 1 h. 32) est un rocher dont la plus
grande partie est occupée par un fort dont il a déjà été question précédemment
à plusieurs reprises. Il a été déclassé en 1889, et les charpentes se sont effondrées,
mais la maçonnerie et les casemates sont encore en bon état. L’Etat a mis
récemment ce qui subsiste du fort à la disposition du Collège de France pour
servir d’annexe au laboratoire maritime de Concarneau. Quelques appareils
enregistreurs y ont été installés l’année dernière, et il est maintenant
question de développer cet établissement en vue d’étudier les migrations de la
sardine, dont l’apparition sur les côtes du Finistère est si capricieuse.
Les autres Iles de l’archipel ne sont que des rochers
incultes qui émergent plus ou moins à chaque marée et qui n’ont d’autres
habitants que des oiseaux de mer et de nombreux cormorans.
L’île aux Moutons, que l’on rattache habituellement
aux Glénans, a une surface de 5 hectares. Son nom lui vient, dit-on, de l’existence
de troupeaux de moutons qui auraient été jadis détruits par les rats. Les
marins lui donnent le nom breton de Moalès. Le beau menhir que l’on y voit
prouve qu’elle était habitée déjà dans les temps préhistoriques ; elle n’a plus
d’autres occupants que les gardiens du phare. Cette île est entourée de
rochers, dont les principaux sont Trévarec et Penanguen ; aussi ces
parages sont très dangereux. Entre les Moutons et les Glénans, il existe encore
une série d’écueils, dits les grands et les petits Pourceaux, qui obligent les
navires à se porter vers le sud, en suivant une direction qui les mène dans le
courant des Glénans. C’est sur les Leuriou, récif à l’est des petits Pourceaux,
que la frégate du Roy, la Vénus, s’est perdue au milieu du XVIIIe siècle.
Il y a peu d’années, un grand navire anglais, le Lyme Régis,
qui allait de Bilbao en Angleterre avec un chargement de minerai, s’est perdu
sur les Moutons par un temps de brouillard. Beaucoup d’autres naufrages l’avaient
précédé et l’établissement d’un phare, demandé en 1795, fut décidé quatre-vingt
ans plus tard. La tour a 18 mètres de hauteur, le feu est de 4e
ordre et sa portée est de 16 kilomètres. Il a été allumé le 1er
janvier 1879, mais malheureusement il n’a pas toujours empêché les accidents de
mer de se produire.
Les Glénans, qui dépendaient jadis de la paroisse de Fouesnant,
font maintenant, ainsi que l’Ile aux Moutons, partie de la commune de ce nom.
Ils sont administrés par un délégué, qui remplit les fonctions d’officier
municipal, mais tous les actes de l’état-civil sont inscrits sur les registres
de Fouesnant. Il n’en est pas tout à fait de même au point de vue religieux,
car les enterrements se font à Concarneau.
La population, actuellement de 68 habitants (1905), se
répartit de la manière suivante :
|
Adultes
|
Enfants
|
Total
|
Penfret........................................
|
14
|
24
|
38
|
Drénec........................................
|
2
|
6
|
8
|
Le Loc’h.....................................
|
4
|
7
|
11
|
Saint-Nicolas...............................
|
6
|
5
|
11
|
Totaux.................
|
26
|
42
|
68
|
Sur le nombre de 26 adultes, qui ne comprend pas les deux
gardiens du phare de l’île aux Moutons, 15 seulement ne se rattachent pas aux
administrations de l’Etat, les 11 autres sont les gardiens du phare ou du sémaphore,
et leurs femmes.
L’enseignement primaire est donné à Penfret par le gardien-chef
du phare, qui fait l’école concurremment avec le premier guetteur du sémaphore.
Tous deux reçoivent une rétribution comme instituteurs.
Le chiffre peu élevé de la population sédentaire correspond
assez bien à la surface cadastrée d’environ 150 hectares. Dans les terres qui
ont été mises en culture, le sol est formé d’un sable granitique d’une grande
fertilité, grâce à de fréquents apports d’engrais marins, goémon et maërl
(sable coquillier). L’asperge sauvage y pousse spontanément d’après Cambry.
Les fourrages de l’île Guyotec ont été souvent cités. Les fermiers y font de
belles récoltes de céréales et de pommes de terre, mais les difficultés et l’irrégularité
des communications avec le continent entravent beaucoup le commerce. Ces produits
sont d’ailleurs une ressource pour les marins, qui affluent aux Glénans au
moment de la pêche, et, dans l’été, pour les yachts qui, comme jadis les
corsaires, viennent relâcher à Penfret.
Les prix de location des fermes construites, il y a une
trentaine d’années, à Penfret, au Loch, à Saint-Nicolas et à Drénec, s’élèvent
à 500, 400, 700, 500 francs, et pour l’île Quignenec à 60 francs, en tout
2.260, ce qui fait ressortir le prix de location de l’hectare à un chiffre
relativement élevé. La cantine est en outre d’un bon rapport.
Le goémon, ou varech, est une source de richesse pour les
habitants, soit qu’ils l’emploient directement comme engrais, après l’avoir mis
en tas assez longtemps pour laisser égoutter l’eau de mer, soit, qu’en vue de
la production de la soude, ils fassent brûler ces plantes dans des fosses en
pierres, soigneusement dallées. Le grand nombre de ces fosses, que l’on rencontre
en ruines dans les îles, indique combien cette industrie s’était développée. Au
moment de la saison on voit encore arriver aux Glénans des récolteurs et
brûleurs de goémon. Les résidus du travail de la soude clans les usines sont
très appréciés comme engrais.
L’abondance et la richesse de ces cendres avaient déjà, au XVIIIe
siècle, attiré l’attention des étrangers, et, en 1784, une compagnie de négociants,
chargés de fournir la soude destinée aux manufactures royales de verreries de
Rouen, installa des ouvriers aux Glénans pour récolter le goémon et fabriquer
la soude, et elle traita avec le sieur Cathala, négociant à Concarneau, pour fournir
aux ouvriers ce qui leur serait nécessaire. Bien que cette installation n’eût
pas soulevé de réclamations, les Etats, saisis indirectement de la question,
chargèrent le comte de la Bourdonnaye de Boishulin, procureur général, syndic
des Etats, « d’établir par des faits positifs le tort que cet enlèvement
de goémon, pouvait faire aux cultivateurs. » M. de la Bourdonnaye, dans sa
réponse du 10 avril 1784, ne conteste pas la grande utilité des cendres de goémon,
et leur importance pour les cultivateurs des environs de Concarneau, mais il constate
en même temps qu’ils ne peuvent consommer tous les goémons de la côte, et qu’ils
ne se plaignent pas de l’enlèvement fait aux Glénans, où n’habite qu’une seule
famille. « II n’en serait pas de même, dit-il, si les étrangers, avec leur
chasse-marée, allaient détacher le goémon sur les côtes, mais le fait n’est pas
établi. » aussi M. de la Bourdonnaye ne voit aucun inconvénient à laisser
récolter le goémon aux îles des Glénans.
Les habitants de la paroisse de Fouesnant auraient seuls pu réclamer.
Ils ne l’avaient pas fait, et l’origine de cette affaire se trouve donc très probablement
dans les discussions du sieur Cathala avec la ferme des Devoirs de Concarneau,
qui se trouvent exposées dans une très longue et curieuse lettre adressée aux
Etats. Cette lettre, véritable mémoire écrit dans le style emphatique du temps,
a pour objet de faire donner l’ordre aux receveurs des Devoirs d’accepter la
déclaration de transport aux Glénans de deux barriques de cidre destinées à la
consommation de « vingt ouvriers Normands. »
L’exploitation du goémon se continua, comme par le passé, pendant
la première partie du XIXe
siècle, et c’est seulement après que les Glénans eurent deux fois changé de
maître, que le nouveau propriétaire, en vue des avantages qui pouvait résulter
de la vente des sous-produits, autorisa la construction sur ses terrains d’une
usine pour la fabrication industrielle de la soude. Le concessionnaire s’installa
dans l’île du Loc’h, à proximité des plages où le goémon est le plus abondant
et où il devait être plus facile de l’employer à l’état de goémon vert, c’est-à-dire,
au moment où il vient d’être coupé, et où sa teneur en iode est la plus forte.
Pendant les premières années, les bénéfices réalisés furent considérables,
mais, quand, par suite de la généralisation d’un nouveau procédé pour la production
de la soude, le prix s’avilit des deux tiers, l’usine dut cesser son
exploitation; les bâtiments abandonnés tombèrent en ruines; et ces ruines
elles-mêmes auront bientôt disparu, à l’exception d’une cheminée conservée pour
son utilité comme amer.
Ce même industriel, locataire de tout l’archipel,
construisit les fermes dont j’ai déjà parlé, ainsi que le vivier qui à ses
débuts, m’a-t-on assuré, avait contenu pour près de 80.000 francs de crustacés
et de poissons. La difficulté n’était pas d’approvisionner le vivier, mais d’en
écouler avantageusement le contenu.
La Guerre et la Marine se désintéressent maintenant des Glénans
au point de vue militaire. Après l’insuccès de l’usine construite en 1870, il est
douteux qu’une nouvelle tentative puisse y acclimater une industrie qui aura
toujours à lutter contre des concurrents employant des procédés de plus en plus
perfectionnés.
Pourtant, les Glénans conserveront toujours l’avantage de
fournir dans leurs petites anses un abri aux pêcheurs de Concarneau et des
ports voisins. Sur cette côte hérissée de récifs, les deux phares de Penfret et
de l’île aux Moutons continueront à guider les marins, sans pouvoir toujours
prévenir les sinistres qui se produisent encore trop souvent. Et, pour équiper
les deux bateaux de sauvetage, qui ont été récemment installés, on trouvera
toujours dans les îles ces marins qui, alors qu’ils n’avaient à leur
disposition qu’une simple baleinière, allaient, il y a peu d’années, au secours
d’une barque de Groix en perdition, et arrachaient à la mort huit hommes de l’équipage.
Mais la mer qui, dans un passé resté mystérieux, a fait disparaître
la grande île, dont nous voyons les restes au large de Concarneau, n’a pas
désarmé. Elle continue son oeuvre de destruction : les grandes lames de l’océan
emportent tous les ans quelques fragments des rochers qui protègent les îles,
et on peut prévoir que, dans les siècles à venir, un moment viendra, où les Glénans
disparaîtront à leur tour, et seront confondus dans les traditions locales,
avec la grande île qui les a précédés. Alors, de même que nous cherchons les
fondations des monuments romains submergés, les archéologues, s’il en existe encore,
rechercheront au fond de la mer la trace des constructions du vingtième siècle.