Samedi 22 janvier 1994 Les ormeaux des Glénan

L'ormeau que Jean Puloc'h a rencontré nous a parlé de son existence dans le monde marin, puis de son alimentation, et de sa reproduction. Il aborde aujourd'hui son mode de vie.

- Mais ensuite, comment vivez-vous ?

- Notre croissance est lente ! Il nous faut cinq années pour atteindre la taille de quatre-vingt millimètres. Nous vivons environ quinze ans. Les plus gros individus mesurent jusqu'à cent trente millimètres et peuvent peser 350 grammes. Notre développement n'est pas continu, il marque un temps d'arrêt en hiver et pendant la période de reproduction. C'est pourquoi, durant l'été, nous sommes maigres et, comme vous le dites « de faible valeur gustative ».

Les dimensions moyennes d'un haliotis tuberculata de 90 millimètres de long sont :

  • largeur: 62 mm
  • hauteur: 23 mm
  • poids total : 107 gr
  • poids muscle : 45 gr soit 42 %
  • poids coquille : 30 gr soit 28 %
  • poids vicères : 32 gr soit 30 %.

- J'entends bien ! Et les précisions que vous me donnez peuvent éventuellement m'être utiles. Mais où donc habitez-vous ?

- Je ne vais tout de même pas vous donner notre adresse précise. Vous risqueriez de ne pas tenir votre radula pardon, votre langue.

Cependant, je peux vous confier que notre habitat naturel consiste en un substrat dur et stable, abrité de la lumière et situé à faible profondeur. En général sont retenues toutes les infractuosités durables dont les parois sont constituées, au moins en partie, par un substrat dur. Il s'agit des failles et crevasses sur roches plates, saillies de blocs rocheux et des faces inférieures des rochers à forte granulométrie. Un tel habitat nous procure une protection contre nos prédateurs.

Cependant, quelques individus de grande taille, immobiles, viennent parfois s'exposer sur la roche. Enfin, il existe une réelle affinité entre les juvéniles et les algues rouges encroûtantes.

Nous sommes en compétition avec les oursins pour le choix de l'habitat. Cependant, je dois l'avouer, la plus dure compétition s'exerce entre nous pour le choix de la meilleure place.

L'habitat individuel varie selon la taille. Les larves choisissent de se fixer sur des substrats couverts d'algues encroûtantes situés en milieu interdidal puis, plus tard, elles rejoignent la colonie et recherchent l'abri idéal dans une anfractuosité.

En général les plus jeunes vivent entre un et trois mètres alors que les adultes élisent domicile entre quatre et cinq mètres. Les individus de taille supérieure à 90 millimètres forment les gros bataillons de la population située à 5,5 mètres (90 %). Cependant, ils peuvent parfois monter à plus de quatre mètres dans les mares.

- Si j'ai bien compris, une fois trouvée votre place vous n'en bougez quasiment plus.

- Oh que non! Nous nous déplaçons ! Mais, l'amplitude de nos déplacements est considérée comme faible. Elle dépend surtout des conditions de l'environnement. Notre mobilité est surtout provoquée par la disponibilité de la nourriture. Ainsi que je vous l'ai déjà dit, nous broutons et captons les algues en suspension dans les courants marins. Mais parfois, il nous faut aller paître sur les rochers voisins. Nous nous déplaçons également pour nous rassembler au moment de la ponte ainsi que pour nous mettre à l'abri les jours de tempête ou pour échapper à nos prédateurs.

Nous nous déplaçons de préférence la nuit. Notre célérité est d'environ vingt centimètres par jour. Toutefois, il nous arrive, en cas de besoin, d'effectuer un bond de trois mètres en une journée voire cinq mètres en trois jours ! Mais il s'agit là de records. Notre déplacement annuel est de l'ordre de quelques dizaines de mètres.

Il ne faut donc pas compter sur nos déplacements pour venir repeupler une zone lointaine qui aurait subi une action de sur-pêche.

- Vous arrive-t-il, comme à nous humains d'être parfois malades ?

- Cela arrive, notamment lorsque vous polluez la mer par des déversements de toutes sortes de produits nocifs. Vous avez une fâcheuse tendance à prendre la mer pour une poubelle.

Mais nous sommes aussi victimes de parasites. Deux types de vermines nous infectent : les éponges perforantes du genre cliona et des anélides polychètes spionidées de type polydora.

Ces deux parasites, profitant de notre coquille comme abri. Leurs actions distinguées ou conjuguées se traduisent par un affaiblissement de l'hôte parasité qui a pour conséquence de ramollir la coquille ce qui le rend vulnérable aux prédateurs. D'autre part, lorsque le parasite perce la coquille, nous produisons un excédent de nacre au détriment de ses autres fonctions biologiques telles que la croissance et la reproduction.

Il est à remarquer qu'en moyenne, tous les individus de plus de cent millimètres portent de dix à cinquante polydora. La présence de parasites a été parfois constatée sur des sujets de quarante cinq millimètres.

- Tout compte fait, à part quelques parasites qui vous gênent vous vivez heureux. N'avez-vous donc aucun prédateur.?

- Bien sûr que si ; et d'abord l'homme ! Il est le plus dangereux car rapace et imprévoyant. I1 est bien capable de mettre au point des pièges de capture performants qui risquent d'amener notre disparition. Mais il n'est pas le seul. Nous sommes la proie de beaucoup d'animaux ! Surtout au début de notre vie. Nos principaux prédateurs sont :

la grande roussette et les raies, les pieuvres et les étoiles de mer (astéria rubers et marthastérias glacialis) en espace interdidal, l'huîtrier pie et le goléand. Nous sommes également attaqués par les carnassiers sous-marins vivant de la même biotope que nous dont les crustacés.

Si je devais les classer par ordre de malfaisance disons qu'en A, nous trouverions l'étrille, en B, la vieille et la blennie, en C, la roussette, le bar et le chobat, en D, le homard, le congre, le tourteau, la raie et la motelle.

Mais le prédateur le plus redoutable est certainement l'homme car il pêche sans discernement.

Actuellement, seule la pêche à pieds est autorisée. I1 reste encore à savoir qu'elle est interdite du 1 er mai au 30 septembre pour cause de reproduction. Par ailleurs, la pêche sous-marine est strictement interdite toute l'année (arrêté de la Direction Régionale des Affaires Maritimes de Bretagne Sud Vendée du mois d'avril 1965). Entre nous, il n'est pas bien respecté et les gendarmes maritimes feraient bien de s'en occuper...

Mais la marée montait et maintenant mon ormeau mutant se couvrait d'eau et sa voix ne me parvenait plus que par saccades, au gré des vagues. Je le remerciais de m'avoir choisi pour cette conversation étonnante qui je l'espère intéressera les lecteurs autant qu'elle m'a passionné.

A défaut de pouvoir prendre rendez-vous pour une nouvelle entrevue, dans mille ans, je souhaitais à mon correspondant de passer ce nouveau millénaire tranquillement ! Pourvu que les hommes, toujours imprévisibles, ne s'amusent pas à provoquer une nouvelle fois la colère du ciel ; une nouvelle destruction de Sodome et Gomorrhe.

Jean Puloc'h

Nous remercions vivement MM. Le Donge, Directeur du Centre d'Etudes du Milieu et de Pédagogie Appliquée Ministère de l'Agriculture (CEMPAMA) à Beg-Meil, Mollo, Maître de recherches, Darte, professeur et Le Bras, documentaliste qui nous ont permis l'accès à la documentation du Centre d'Etudes.

Les ouvrages consultés pour l'élaboration de notre article sont :

  • Etudes sur les ormeaux dans la région de Saint-Malo de J. Clavier et 0. Richard
  • Premières données sur les stocks naturels d'ormeaux de la région de Saint-Malo de Jacques Clavier.

*90 % des larves sont consommés dans la chaîne alimentaire planctonique.

Région

Nom latin

Nom commun

Taille maximum (cm)

Afrique du Sud

Haliotis midae

Perlemoen

18

Australie

H. laevigata

A-balone

20

H. ruber

Abalone

16

H. roei

Abalone

10

Îles Anglo-Normandes

H. tuberuculata

Ormer

12

Japon

H. discus hannai

Awabi

20

H. discus

Awabi

14

H. gigantea

Madaka

15

H. sieboldii

Megai

14

Nouvelle Zélande

H. iris

Paua

17

U.S.A. et Mexique

H. cracherodii

Abalone

20

H. rufescens

Abalone

30

H. corrugata

Abalone

25

H. fulgens

Abalone

25

H. sorenseni

Abalone

26

Canada et Alaska

H. kamtschatkana

Abalone

15

Europe et Afrique

H. tuberculata

Ormeaux ormel

13

Liste des principales espèces du genre Halions exploitées dans le monde


Jean Puloc'h parle aux ormeaux comme Gwenn-Aël Bolloré parle aux berniques

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