Bibliothèque patriotique de la jeunesse française
Fondé par Mlle Lérida GEOFROY
Le Littoral de la France
Deuxième partie
Du Mont Saint-Michel à Lorient
Par CH-F AUBERT
Paris Victor PALMÉ, Éditeur – 76, rue des Saints-Pères - 1885

CHAPITRE XLII - Les îles Glénans. - la baie de la Forêt. - Concarneau

littoral de franceOn pourrait supposer que l'on parcourt un autre pays, tellement, depuis l'extrême pointe Sud du cap de Cornouailles, la côte a changé d'aspect. Verdoyante, les arbres la couvrent souvent jusqu'à la ligne de flot, baignant leurs racines et leur feuillage dans l'eau de chaque marée. Ils sont parfois si touffus, que l'on croirait voir les abords d'une forêt, et plusieurs baies en ont retenu le nom sous lequel on les désigne. Telle la jolie baie défendue par la ville de Concarneau.

Les îles de Glénan, ou, plus simplement, les Glénans, commandent à la fois l'entrée de Concarneau et l'anse de Benodet. Elles dépendent de la commune de Fouesnant et gisent à une distance de douze à quatorze kilomètres au large. C'est un petit archipel composé de six grands ilôts et de plusieurs masses rocheuses, asiles des lapins et des oiseaux de mer.

L'île Penfret, la plus considérable, est située en face de la baie de la Forest, au sud-ouest de la pointe de Trévignon. Sa côte Nord supporte, depuis un demi-siècle, un phare de troisième ordre à éclats. L'anse de Porniqueul assure un bon mouillage et un bon abri aux petits navires; un puits d'eau douce en est tout proche.

Le mouillage de l'île de la Cigogne (placée au centre de l'archipel), est très bon, un petit fort en défend l'accès.

L'île Saint-Nicolas possède d'excellentes terres bien cultivées et de l'eau douce; mais Guyoteck, le Drenec et Guineneck ne donnent guère asile qu'à des bestiaux envoyés pour paître leur herbe succulente.

L'ile du Lock tire son nom d'un grand étang saumâtre occupant le milieu de sa superficie (Les lecteurs du Foyer breton se souviendront qu'Émile Souvestre y a placé la scène de l'un de ses plus charmants récits populaires: la Groac'h de l'île du Lock.) : le mot lock signifiant littéralement : étang.

La position des Glénans peut être importante en temps de guerre, puisqu'elle entraverait les opérations d'un débarquement ennemi, sur cette partie du littoral breton. Il y a donc lieu de supposer que ces îles ne seront pas oubliées dans le plan général adopté pour la défense de nos rivages.

La baie de la Forest fournit les plus charmants points d'excursion. L'église du bourg de FOUESNANT date, au plus tard, du dixième siècle. Les beaux sites et les riches manoirs sont nombreux aux environs. La population, les femmes surtout, présente des types ravissants.

Sous leur si gracieux costume, qu'elles ont le bon sens de conserver, avec leur blanche carnation, leurs grands yeux d'un bleu foncé, leur opulente et fine chevelure noire, un artiste ne saurait rêver modèle plus idéal.

Sur la côte orientale, et à l'entrée de la baie de la Forest, s'ouvre une anse profonde, occupée, à peu près à son centre, par un îlot sur lequel une petite cité a trouvé moyen de développer sa ceinture de murailles.

Concarneau, ainsi se nomme-t-elle, doit être d'origine fort ancienne ; mais les premiers faits dont ses chroniqueurs aient gardé le souvenir ne vont pas au delà du septième siècle. Sa situation lui a toujours valu un rang honorable parmi les places de guerre bretonnes, et lorsque Henri II lui accorda, en 1557, le droit envié d'établir un Papegault (Tir à l'arc et à l'arquebuse.), les lettres patentes la désignèrent comme « la quatrième ville forte de Bretagne ».

De nos jours, Concarneau est place de guerre de troisième classe, et ses fortifications sont soigneusement entretenues. L'un des bastions passe pour avoir été construit par la reine Anne, chose très possible, « la bonne duchesse » ayant toujours veillé jalousement sur son domaine particulier.

Du Guesclin assiégea sans succès la petite ville, que la mer protégeait.

Plus tard, au temps de la Ligue, Concarneau devint, affirme le chanoine Moreau, « un repaire de bandits de sac et de corde, capables de tous les crimes ».

Le capitaine Lézonnet, gouverneur de cette belle garnison, vint prêter main-forte aux paysans révoltés des environs de Pont-l'Abbé, « plus soucieux, dit avec raison un historien, de causer du mal aux seigneurs royalistes, que poussé par un véritable zèle religieux ».

Le résultat de l'expédition fut fructueux ; des sommes énormes furent payées par plusieurs gentilshommes et, détail piquant, passé en proverbe, les gens de Concarneau enlevèrent même « l'horloge du château ».

Longtemps, à Pont-l'Abbé, si quelqu'un s'informait de l'heure on répondait : « Allez la demander aux gens de Concarneau !! » Ce dicton est peut-être, simplement, le résultat d'une de ces rivalités comme il en existe tant entre petites villes jalouses les unes des autres.

Quoi qu'il en soit, depuis longtemps Concarneau ne songe plus aux expéditions guerrières et déploie toute son activité pour la pêche de la sardine.

Les bancs de ce poisson arrivent dans la baie quelques semaines plus tard qu'à Douarnenez. Vers la mi-juin, la pêche commence et finit vers la mi-novembre. La population à peu près entière y est employée. Toutes les industries qui en sont la conséquence ont, dans les faubourgs, des établissements florissants.

Mais, cela va sans dire, leur prospérité est subordonnée à l'abondance du poisson. Comme à Douarnenez, si la sardine « donne », c'est l'aisance pour le pays. Le contraire amène une misère presque complète, car les habitants se livrent peu à la culture de leurs terres, excellentes de qualité, cependant.

La pêche du poisson frais, des huîtres et des crustacés, est aussi pratiquée. Les pêcheurs ne craignent pas d'affronter les parages d'Audierne et de Penmarc'h.

L'aquarium de Concarneau est célèbre. Sa réputation, justement méritée, vient des études consciencieuses et suivies qui y sont faites. Elles ont donné beaucoup de résultats curieux et peuvent finir par combattre les préjugés, ainsi que la routine, seuls guides volontiers écoutés des pêcheurs et des riverains, inconscients destructeurs des ressources fournies par la mer.

Pour voir Concarneau dans son ensemble, il faut se rendre à la « ville close » et obtenir la permission de faire le tour des murailles.

Excursion très facile, réclamant au plus dix minutes; mais la beauté du spectacle allongerait indéfiniment, si cela était possible, le temps qu'on lui consacre.

Resserré en une rue unique, traversée par de petites venelles, le vieux Concarneau a perdu presque toutes ses antiques maisons, et son église gothique a fait place à une affreuse bâtisse.

Il n'importe ! la ceinture murale est toujours debout. D'un gris blanchâtre, elle se reflète, presque brillante, dans les vagues de la marée haute ; immuable, vis-à-vis des longs faubourgs qui se recourbent autour du petit golfe, en essayant d'étendre de plus en plus leur ligne animée.

Vers le sud, l'Océan fait résonner sa voix. Des trois autres côtés, les amphithéâtres de verdure escaladent les croupes des collines. Des clochers de village, des tourelles de châteaux à demi enfouis sous les arbres, pointent, çà et là, leurs girouettes dans l'azur. Une petite rivière, des ruisseaux coulent, jaseurs, entre leurs berges fleuries. Tout est fraîcheur, harmonie, grâce aimable, et l'on souhaiterait visiter, jusqu'en ses points les plus reculés le charmant Éden verdoyant sous nos yeux.

Les surprises imprévues se mêleraient aux sensations poétiques. Làbas, derrière les rideaux d'arbres, se déroulent de vastes landes, toutes parsemées de pierres druidiques. Une fois entré dans ces espaces solitaires, le voyageur chemine au milieu d'un véritable ,océan de blocs levés, couchés, alignés, amoncelés, solidement enfoncés ,ou se balançant sous la pression de la main, qui ne peut, toutefois, chose mille fois tentée, déplacer l'axe invisible.

Le sol disparaît sous sa végétation rocheuse, étouffant même les buissons. De temps en temps, un goéland égaré traverse le ciel d'une aile rapide. Les oiseaux chanteurs fuient ces déserts, et si, parfois, le grossier ciseau d'un tailleur de pierres n'avait façonné, en croix, le sommet d'un menhir, ,on pourrait supposer que l'homme n'approche plus de ces ruines gigantesques.

Voilà ce que les campagnes des environs de Concarneau, principalement celle de Trégunc, gardent parmi des champs riches, bien cultivés, des jolies prairies couvertes de bestiaux de la race bretonne, race patiente et sobre par excellence, s'accommodant aussi bien de l'ajonc des landes que de l'herbe grasse.

Et nous quittons les murailles de la petite place forte en nous répétant combien les préjugés sont difficiles à vaincre ; combien, longtemps encore, et pour un grand nombre de gens, instruits cependant, la Bretagne restera un pays pauvre, sans ressources, sans avenir !

Heureusement, des cris joyeux chassent les pensées mélancoliques. Nous avions ,oublié que c'est jour de courses. Toute la population se précipite, afin de tirer des pronostics de l'apparence des chevaux et des jockeys. Comme la journée est consacrée à l'élevage du pays, ces jockeys, naturellement, sont recrutés parmi les habitants. Beaucoup d'entre eux montent sans façon, à poil, sur une bête dételée de la voiture qui, tout à l'heure, les remmènera.

L'intérêt n'est pas moindre, au contraire ! Et nous serions curieux de voir certains vainqueurs de prix superbes, se mesurer avec tel cheval de boucher ,ou de meunier, sans aïeux connus, peut-ètre, mais capables de fournir, pesamment chargés, des traites de douze, quinze, vingt lieues, a travers un pays extrêmement accidenté, pour recommencer le lendemain, le surlendemain et ainsi de suite.

Les humbles ne sont pas toujours à dédaigner !

Nous citons une note curieuse sur un événement maritime dont le port de Concarneau a été le théâtre.

« Le vaisseau Le Vétéran, sur lequel se trouvait Jérôme Bonaparte, y trouva asile contre les Anglais qui le poursuivaient avec acharnement. On n'eut pas égard à l'offre hardie du capitaine Segond, qui proposait de faire entrer ce vaisseau à Brest, malgré la flotte ennemie, et l'on établit, pour le défendre, des batteries fort dispendieuses. »

Très amélioré, ce port le sera certainement de nouveau. Un de ses principaux inconvénients provient du sable charrié par les rivières et les ruisseaux; mais on y remédiera. Les quais, rendus plus commodes, le bassin, agrandi, l'entrée, moins difficile, ont déjà influé sur le mouvement du cabotage.

Souhaitons à Concarneau, comme à Douarnenez, des campagnes sardinières de plus en plus productives; mais souhaitons-lui aussi, de comprendre tout le parti que sa situation présente pour un commerce suivi, alimenté par la richesse de ses alentours.

Ce serait une source inépuisable de bien-être pour son active population et pour ses laborieux marins.

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