Pays de Quimper N° spécial Glénan
C'est vers la fin du mois d'avril 1959 que Gwenn Aël Bolloré, propriétaire de l'île du Loc'h, fit venir aux Glénan un étalon et deux pouliches poneys Shetlands...
Depuis cette date, ces petits chevaux, capables de se contenter d'une nourriture frugale et qui savent se protéger du vent et de la tempête en recherchant un abri naturel, ont proliféré sur leur nouveau domaine.
Il faut préciser que sur le Loc'h existe un étang d'eau douce ou saumâtre, selon la saison, qui permet aux animaux de s'abreuver à volonté.
Donc, le 28 mai 1959, la jument "Harmony" mettait bas une pouliche, seule, sans aucune aide. La preuve était faite que ces quadrupèdes avaient toutes les qualités requises pour vivre sur leur nouvelle terre. Trente ans plus tard, la totalité de l'île est conquise et à certains moments, la nourriture se fait rare car le troupeau est devenu trop important.
C'est pourquoi, le 8 juillet 1990, au cours de la journée "Iles propres" organisée par la municipalité de Fouesnant sur l'ensemble de l'archipel, le maître du Loc'h me fit confidence que le nombre de chevaux vivant sur les 58 hectares de son domaine îlien devenait trop important et, qu'il envisageait, si de bonnes conditions d'accueil leur étaient offertes, de faire don à la commune de Fouesnant de 5 ou 6 équidés.
J'acquiesçais avec empressement à cette proposition et assurais mon interlocuteur que la commune disposait de tous les moyens à mettre en œuvre dans une telle affaire, que nous avions des employés municipaux grands connaisseurs de chevaux, que les terrains du Conservatoire du Littoral de Mousterlin et de Penfoulic offraient le meilleur pâturage pour ces nouveaux venus, que nos vétérinaires sortaient des meilleures écoles et que, toutes ces conditions étant réunies, il n'était pas possible d'envisager le transfert de ces solipèdes ailleurs qu'à Fouesnant...
Gwenn-Aël, qui ne demandait qu'à être convaincu, donna aussitôt son accord pour exécuter cette opération.
Préparatifs du retour
C'est ainsi que le 8 août 1991, avec la bénédiction de Roger Le Goff, Maire de la commune, une expédition est mise sur pied; objectif: ramener de l'île du Loc'h 5 ou 6 poneys Shetlands.
L'affaire est d'importance ! Elle est préparée avec minutie. Pour le transport, le Capitaine des ports, avec l'aide de son adjoint, a adapté un ponton qu'ils ont cerclé de barrières métalliques destinées à éviter que les chevaux, en cas de panique, ne sautent à la mer. En effet, Yves Paubert se souvient bien que le dernier cheval de labour ramené de l'archipel sur le continent, s'est noyé à quelques milles de Mousterlin, après avoir sauté du bateau qui le transportait.
Un vétérinaire et son adjoint, armés d'un fusil et d'un pistolet hypodermiques, font partie de l'expédition.
Le Service Technique communal, fort de ses 11 hommes dont son chef, est à pied d'œuvre.
Michel Le Page, le futur maître des transfuges, très préoccupé, prodigue les meilleurs conseils à ses collègues qui, entre nous, connaissent mieux les travaux de terrassement, d'adduction d'eau, de tapisserie et d'électricité que l'art de capturer des chevaux à demi sauvages !
Les cow-boys fouesnantais en action
L'adjoint au Maire chargé des îles, qui s'était peut-être un peu avancé en vantant à Gwenn-Aël la qualification professionnelle des employés municipaux en ce domaine, coordonne les opérations : approche, tirs au fusil hypodermique, capture, transfert sur le radeau, retour sur le continent puis dépôt des animaux dans leurs nouveaux herbages.
Tout semble parfait ! La manœuvre devrait se dérouler sans problème.
Mais, ce n'était pas l'avis des chevaux qui, n'ayant pas été consultés sur l'opportunité de cette affaire, alors qu'ils s'estimaient, à juste titre, concernés, avaient décidé de ne pas coopérer, voire même de manifester un esprit d'indépendance farouche frisant le mauvais caractère.
L'approche des animaux se fait d'abord sans difficulté. Consigne est donnée d'éviter tout cri ou geste brusque. Au premier tir, la fléchette hypodermique rebondit sur la cuisse de la jument visée. Cette action a pour effet immédiat, non pas d'endormir la bête, mais de provoquer le déplacement du troupeau au grand galop.
Au deuxième tir, victoire, le trait pénètre le muscle. Le vétérinaire conseille : il faut attendre, laisser le produit faire son effet... Et 20 minutes plus tard, rien ne se passe... Excepté un nouveau déplacement du troupeau.
Les troisième et quatrième tirs n'ont pas plus de succès et, il faut bien se rendre à l'évidence, le "louzou" anesthésiant employé n'est pas très efficace sur les poneys des Loc'h. Les vétérinaires, je ne sais pourquoi d'ailleurs, ont l'impression que tous les yeux se braquent sur eux et tiennent à expliquer qu'il s'agit d'une question de quantité et que, pour le moment, on n'avait pas encore mis au point de produit provoquant l'anesthésie immédiate des équidés ! Il faut donc se résoudre à faire la course et à manier le lasso pour arrêter les animaux et permettre alors aux vétérinaires d'injecter la dose convenable de produit non-miracle qui aura pour effet plutôt de calmer que d'anesthésier les chevaux.
Mais à ce jeu, c'est bien connu, les quadrupèdes sont bien mieux armés que nous pour courir la campagne, même glénanaise, et les employés municipaux, peu habitués à ce genre d'exercice, ont du mal à improviser, d'autant que le maniement du lasso, et c'est d'ailleurs bien dommage, ne fait pas partie de leur formation professionnelle.
Les poneys font de la résistance
Les chevaux, eux, font face aux chasseurs ! Bien campés sur leurs quatre sabots, la tête haute, voire hautaine, l'œil vif, les oreilles tantôt provocantes, braquées sur nous telles des antennes de radars de tir, tantôt carrément couchées en arrière, ils nous font comprendre une nouvelle fois qu'ils n'entendent pas cette affaire de cette oreille ! Ils admettent l'approche jusqu'à 3 ou 4 mètres puis, au moindre geste, prennent le galop et nous attendent 100 ou 200 mètres plus loin.
Et tout est à recommencer.
Nous devons admettre que notre technique n'est pas au point. La décision est alors prise d'essayer d'isoler le cheval convoité et de concentrer sur lui les lancers de lasso.
Après une nouvelle cavalcade, les chevaux n'ayant pas compris notre manœuvre, refusent obstinément de coopérer. Nous réussissons cependant à séparer une jument du groupe et alors, quatre lassos sifflent dans le ciel ensoleillé de l'archipel et s'abattent tant bien que mal sur la cible. Le quadrupède ainsi que deux cantonniers sont pris ! Il s'ensuit un remue-ménage indescriptible tant la poussière et l'herbe volent haut à l'endroit du tourbillon. Les cordages se mélangent aux cris et aux hennissements et il est bien difficile de reconnaître une chevelure d'une crinière ou un sabot d'un pied tant les événements vont vite. Enfin, tout se calme et le vétérinaire fait son office... sur l'équidé qui refuse obstinément de s'endormir ! Après plusieurs injections, il ne sera qu' "un peu groggy".
Un jeune mâle, d'accord pour émigrer ou tout simplement attiré par une baguette de pain, sera pris sans résistance et ne sera "anesthésié" qu'au moment du départ.
La technique du lasso, apprise sur le tas, est presque maîtrisée et trois autres bêtes sont capturées. Les employés communaux et l'adjoint chargé des îles connaissent maintenant tous les trous et les bosses des parties Ouest et Nord de l'île du Loc'h. Cependant, la dernière jument convoitée refuse le dialogue et pour nous éviter, vient se réfugier sur la plage. Récusant le licol, elle entre dans la mer et nous contourne à la nage, pour nous échapper. Après la course à pied, il nous faut donc participer à un concours de natation. Cette expédition est un vrai biathlon.
Armés chacun d'un cordage, les deux plus jeunes, Pascal Malejac et Michel Le Page se mettent à l'eau à leur tour et, à la nage, poursuivent l'animal pour le fatiguer et le forcer à revenir sur la grève. Mais, pour la plus grande joie des estivants qui assistent et pour certains participent maintenant à la cavalcade, c'est l'effet inverse qui se produit ! Fatigués, les deux hommes rejoignent la plage... sans le cheval !
Force reste à la loi
Une nouvelle tactique est alors mise au point. Nous refusons à la rebelle le droit de reprendre pied. Et là, victoire ! L'animal se fatigue et doit se rendre. Vaccinés, pattes liées, les 6 prisonniers sont déposés sur un filet de chalut et transportés sur le radeau à destination du continent.
Il faudra 6 hommes pour porter chaque cheval. La traversée sera sans histoire sous la haute surveillance des vétérinaires et, en fin de soirée, le radeau accostera la cale de mise à l'eau de Mousterlin où, en présence de Roger Le Goff Maire de Fouesnant, deux bétaillères attendent les immigrés.
Immédiatement conduits dans les pâturages promis, les six chevaux sont libérés et, quelques minutes plus tard, broutent tranquillement cette nouvelle herbe abondante que leur ancien maître craignait de voir faire défaut sur le Loc'h.
Jean Puloc'h
Voir l'article Devenir des poneys de l'île du loc'h