Pays de Quimper N° spécial Glénan

Une difficile cohabitation à Saint-Nicolas en 1773.

Les esprits originaux et aventureux n'ont jamais manqué dans l'Archipel. Parmi ceux-ci, Joseph Landois de Cleumeur tient bien sa place. Ancien capitaine d'infanterie, négociant fortuné, il décide un jour de venir s'établir aux îles, d'y élever du bétail, d'y faire pousser blé et légumes, et surtout de presser la sardine. Pour ce faire, il a besoin de personnel et 5 Concarnoises, ouvrières saisonnières le suivront à Saint-Nicolas. Mais à Saint-Nicolas, une famille est déjà établie : les Rochard. Pour Landois de Cleumeur, la cohabitation ne sera pas de tout repos.

Louis-Pierre Le Maître nous conte ici cet épisode clochemerlesque.

En 1762, les militaires abandonnent une première fois les Glénan, livrant l'archipel à toutes les spéculations imaginables. Les prétentions du sieur abbé de Rhuys ont été oubliées et l'administration se trouve soudainement pressée d'asseoir ses nouveaux droits.

En vertu d'un accord passé en 1759 entre les représentants du Roi et les Etats de Bretagne, toutes "terres vaines et vagues dépendant des Domaines" peuvent maintenant être soumises à afféagement. Vaines et vagues : c'est bien là la caractéristique de ces "isles et islots appelés des Glénan sous la dénomination de Penfret, liste Verte, le vieux Glénans, Labrennec, lisle Saint Nicolas, lisle aux Genêts, lisle de l'Etang, Quignennec, Drenec et lisle aux Moutons situées sur les costes de l'évêché de Cornouaille distantes d'icelles de quatre lieues, relevant du domaine du Roy de Concaneau". Le régime de l'afféagement semble alors idéal pour enrayer la désertification des terres particulièrement exposées. En échange d'un "cens" annuel payable à la recette royale, l'acquéreur bénéficie d'un certain nombre d'exemptions fiscales sur les "lods et ventes, saisine et amendes suivant la Coutume". Il s'engage par là-même à défricher et mettre en valeur les îles et îlots sous l'espace de cinq ans, faute de quoi toutes ces constructions et transformations se trouveraient hypothéquées "à perpétuité". En l’occurrence, compte tenu d'un intérêt agricole plus que restreint, les Glénan ne pouvaient attirer que les entre- prises plus ou moins bien calculées de négociants liés au commerce du poisson, c'est à dire la salaison et la presse des sardines.

300 livres au Sieur Landois de Cleumeur

Dans l'intérêt du fisc, les afféagements étaient évidemment soumis à adjudication. Les annonces ayant été conjointement publiées par le sieur Coroller, huissier audiencier au présidial de Quimper et par Charles Chacun, son homologue à la sénéchaussée de Concarneau, un sieur Clémenceau se retrouva dernier enchérisseur à Rennes, le 30 décembre 1767, "moyennant un cens annuel de 300 livres payables à la recette du domaine du Roy à Concarneau à chaque Saint-Michel".

Clémenceau reconnut tout de suite agir par procuration de Joseph Landois de Cleumeur, "ancien capitaine d'infanterie". (Archives Départementales du Finistére) Les mésaventures du nouvel afféagiste ont été déjà largement évoquées dans "le cercle de la mer":

"Encore un curieux personnage que ce négociant qui paraît disposer d'une réelle fortune et dont on se demande quel intérêt il pourra trouver à l'engloutir dans ces îlots. Esprit original, il s'est, après avoir longuement servi dans l'armée, longuement penché sur la configuration des côtes bretonnes, ce qui l'a amené à présenter en 1765 un 'projet pour l'établisse- ment des feux sur les côtes de Cornouaille'. Cette longue étude l'a amené à s'intéresser aux Glénan où il voudrait maintenant s'établir, non pas pour y construire un phare mais pour, prosaïquement, y élever du bétail, faire pousser du blé, des légumes et surtout relever les anciennes presses. Car Landois de Cleumeur est aussi négociant à Concarneau".

Par son épouse, l'ancien officier de milice s'est en fait introduit dans les fructueuses affaires de la famille Gouy qui, de ses bases de la Ville-Close, a essaimé à Lorient et jusqu'à l'île d'Oléron. Se sent-il maintenant quelque peu écarté de l'intimité familiale ? Tout de suite, il décide d'aller s'établir aux Glénan... en compagnie de sa servante.

Eté 1771 : 5 Concarnoises saisonnières aux îles

L'afféagiste a beau être sur ses terres, il n'est pas pour autant propriétaire des bâtiments qui y existent, c'est-à-dire des anciennes casernes de Saint-Nicolas ou il escomptait pouvoir établir ses presses. La guerre éclate tout de suite avec la famille Rochard, gardienne des ouvrages militaires des îles, qui voudrait voir aller au diable l'envahisseur, ses vaches, ses chevaux et ses moutons.

A force de gémissements, de requêtes, de démarches au Port-Louis et à Brest, le bonhomme a juste fini par obtenir le droit de "cabaner", de construire des baraques de blanches. Apitoyés, les Commissaires des Etats de Bretagne lui consentiront finalement une remise de quelques années de loyer.

Les presses ont été construites avec les gros galets des grèves. Landois est négociant : ses chaloupes lui apporteront la sardine. Reste à trouver le personnel, filles ou femmes, pour vider, saler, presser, femmes de confiance qui ne profiteront pas du premier prétexte pour lever l'ancre...

Son choix, il le fera le 15 août 1771, alors qu'il a rejoint pour la fête Concarneau. A force de palabres, de promesses, - 45 livres en argent est une somme qui compte -, il en décidera tout de même cinq, que dès le lendemain, il s'empressera de traîner chez le notaire. Ainsi, Françoise Péron, veuve Broustel de la Ville-Close, Anne Le Faou, fille majeure et Jeanne-Marie sa sœur mineure, dûment autorisée de ses parents, leurs cousines Françoise et Jacquette, de la Rue Neuve "s'obligent d'aller chez ledit sieur Landois auxdites isles de Glénan, distant de cette ville d'environ quatre lieues de mer... en qualité de saleuses pour le travail et arrangement des sardines".

Ce contrat, imposé en raison du lieu, constitue vraisemblablement une première dans le domaine du travail saisonnier en conserverie de poisson. Pendant près de deux siècles, des centaines de femmes quitteront ensuite les ports de Comouaille pour des établissements de Vendée, de Saint-Jean de Luz, regagnant le pays l'hiver seulement...

"Seront tenues de rester chez ledit sieur de Cleumeur en ladite qualité de saleuses tant et si longtemps que la pêche de sardines durera, pour ce qui reste de la présente année seulement et non plus tard, pour faire le service de ses magasins et presses... Seront aussi tenues les susnommées de filer au profit dudit sieur Landois dans l'intervalle de leur labeur, même de faire et rendre tous les services dont elles seront capables audit sieur de Cleumeur et de veiller aux intérêts de celuy-ci durant leur séjour à Glénan".

Café, vin, tabac : tentatives de débauchage

Les cinq femmes ont fait leur "saison" sur l'île, ont touché leurs 45 livres en argent et, l'année suivante, ont demandé à repartir. Les relations ont fini par s'améliorer avec le clan Rochard ; plusieurs fois, Landois a été reçu à leur table. Il s'est offert de leur faire les commissions, leur a prêté une chaloupe et les a même soignés quand ils étaient malades...

Pourtant, en 1773, tout s'est à nouveau gâté. Escomptant toujours sournoisement la faillite de leur encombrant voisin, les Rochard sont revenus à leurs vieux démons en apprenant son intention de construire une baraque supplémentaire. Au moment précis où, eux aussi, envisageaient de se lancer dans le commerce de sardines.

Très prévenante, la dame Rochard a aussitôt multiplié ses égards aux saleuses, les conviant à des cafés, leur débouchant des bouteilles de vin, leur offrant du tabac. Surtout, elle les a averties "qu'elles ne devaient pas pour leur honneur et réputation retourner une autre année chez le sieur de Cleumeur qui n'étoit ny honnête ny décent puisqu'il les faisoit commander par une domestique telle qu'il avoit, qu'ils les auroient prises l'année suivante et leur auroient fait un, sort différent étant assurées d'une bonne bourse pour faire le commerce des sardines".

Le vin et le tabac aidant, les Concarnoises ont constaté tout de suite que ce sacré Landois avait d'étranges manières et que sa bonne ne valait pas grand chose. Saint-Nicolas était reparti pour une nouvelle guerre.

La cave de Landois au pillage

Complètement persuadées d'une faillite imminente qui mangerait leurs gages, les filles, qui en définitive se plaisent à la vie des îles, vont elles aussi avoir toutes les prévenances pour leurs futurs patrons. Quand on cuit le pain, une partie s'en va tout de suite chez Rochard. Quand on prépare la sardine, "en pile à la grève", Madame vient se servir directement. Quand Yves Guillou, le tonnelier, a le dos tourné, tous les "copaux, rognures de douvelles et même partie des douvelles" disparaissent du chantier pour chauffer la marmite de la maison voisine.

Dernière audace enfin, dès que Landois est à Concarneau pour affaires, Rochard ou sa fille viennent chez lui choisir des bouteilles de vin !

De ce manège, l'insouciant négociant mettra longtemps à s'apercevoir. Jusqu'à un fameux jour d'octobre où ayant, dernier aveuglement, reçu Rochard à sa table, celui-ci se laissera à "lui vomir beaucoup d'injures" et se fera mettre à la porte.

La faute pardonnée par devant notaire I

Les employées ont désormais interdiction de fréquenter la maison des Rochard. L'île est coupée en deux. Quelques-unes des filles préfèrent rester tranquilles mais les plus délurées persévèrent. Annette Le Faou passe encore un morceau de lard salé et le lendemain reçoit en échange une tasse de café. Enhardie, sa cousine Françoise prélève "quatre à cinq cents de sardines salées en manestrans pour mettre, disoit-elle, en baril pour envoyer en présent à Lorient". Puis commence un trafic de farine de blé noir et d'avoine "à demi plein une souille d'oreiller à chaque fois".

Landois, dont les affaires effectivement ne sont pas florissantes, a réussi à associer à son afféagement un certain sieur Viaud qui semble avoir quelque crédit et qu'il voudrait maintenant installer à sa place. Or voilà que la femme Rochard finit par persuader les cousines Le Faou de le dissuader "de ne faire dorénavant aucun commerce avec lui". Mal leur en a pris : Viaud est allé tout raconter à son compère. Affolé à l'idée de voir sa dernière planche de salut s'engloutir, Landois n'a fait ni une ni deux, a chargé toutes ses femmes dans la chaloupe, et, presque manu militari, les a traduites devant le notaire de Concarneau. Et là, le 14 octobre 1773, en deux séances, l'une le matin et l'autre l'après-midi, les cinq Concarnoises, usant de "leur vulgaire langue françoise" devront énumérer leurs grands et leurs menus larcins, toutes les manoeuvres, "carresses", propos malveillants des Rochard associés. Après quoi, Joseph Landois, sieur de Cleumeur "ancien capitaine d'infanterie demeurant ordinairement en les isles des Glénans jurisdiction de Concameau et de présent en cette ville à la suite des affaires" déclarera officiellement le pardon de toutes fautes "en considération de l'aveu" et "sans recherche pour quelques causes que ce soit".

Contre Rochard, par contre, l'ancien militaire fourbissait d'autres armes...

Louis-Pierre LE MAITRE

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