Extraits du roman
« Nous voici pour trois jours dans les îles de Glénan. Jenny connaissait peu les fonds atlantique. Avec Éric et Bruno, nous voulions cerner pour elle l’énigme qui attire si fort sous la mer. Nommer le secret que nous poursuivons de saison en saison sous le prétexte de pourchasser des poissons qui, aussi nobles et sauvages soient-ils, ne peuvent à eux seuls justifier l’effort des apnées profondes et les risques d’affûts sous dix brasses d’eau. En fin de compte, nous avions suggéré qu’un vrai secret, c’est toujours une affaire de femme ou de mort »
...
Sans ternir le moins du monde la transparence de l’air, la nuit décante sur les récifs ses premières doses d’obscurité. Tout autour, la mer, immense réservoir de lumière froide, déroule en nappes chiffonnées ses scintillements pâles, froissant ses friselis d’argent sous le pinceau des phares piqués aux avant-postes des écueils. Leurs balayages se croisent et se répondent, succession de brèves et de longues, débusquant les replis du crépuscule en syncopes rythmées qui, malgré leur régularité, chaque fois me surprennent. Au nord La Pie, Penfret, puis le balais vif des Moutons, au sud la Jument qui croise Pérennès, et, comme venues de lointaines constellations, les torches de Pen-Men et de Trévignon : chaque éclat me renvoie dans une brève illumination l’image insolite de trois visages rieurs aux traits mangés d’ombre. Chacun d’entre nous révèle ainsi, ces spots intempestifs, une secrète tension intime : le recueillement qu’ont les chasseurs le soir avant la traque et les guerriers aux veilles des batailles.
...
Hors les Goélands, tout nous accueille ici avec munificence. En ce mois de juin des tapis de minuscules fleurs mêlent des parfums impalpables à l’iode forte des goémons. La petite crique étale un sable blanc constellé de maërl et de coquilles. Sur la pente de la dune piquées de douce-amère, les hautes touffes de criste évoquent les dédales des couloirs sous-marins. Jenny nous a montré qu’écrasées dans les doigts, la senteur lourde de leurs feuilles grasses épaissit l’air, l’embue comme un brouillard de vétivier. Les narines dilatées, les yeux braqués sur la pénombre, nous avons alors un court moment guetté, dans le labyrinthe vert sombre des bouquets, l’éclair de quelque grand bar solitaire que la magie du soir aurait égaré hors des fonds environnants.
...